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des millions de projectiles d’artillerie, peut-être des milliards de cartouches pour fusils et mitrailleuses.

L’impossibilité de rassembler sur les quelques kilomètres de l’action décisive, au même instant, tous les moyens dont on disposera pour produire l’événement, tant les hommes que le matériel et les approvisionnemens, incitera à faire de plus en plus grand usage d’une dernière forme de concentration, la condensation dans le temps. Car une seule chose paraît inextensible : le terrain. Entre des frontières ou des océans, un front est borné. La densité des forces vives de combat par unité de longueur est donc destinée à croître avec la puissance totale des armées, et à dépasser ce que peut porter utilement la surface du sol. D’ailleurs, l’avantage de condenser au plus haut degré l’attaque principale reste certain. A défaut de simultanéité, il faut alors la répétition des coups. Les transports modernes donneront voie à ces concentrations par succession rapide : c’est le système des vagues d’attaque. Une troupe en pleine action est immédiatement suivie, soutenue et remplacée par une autre, jusque-là hors d’atteinte. Le réglage des mouvemens au chronomètre ou par ordres doit être parfait. Notre expérience et notre outillage laissent encore à cet égard beaucoup à désirer. La concentration dans le temps amène à des accumulations de troupes et de matériel en profondeur. Employée en grand, elle sera le correctif de la disposition en cordon, qui aura caractérisé la guerre actuelle. Elle prendra toute son importance quand l’aéroplane, étant devenu le moyen de transport qu’il doit être, assurera et les déplacemens extra-rapides, et les superpositions de masses combattantes dans toute l’épaisseur de l’atmosphère.

Le cordon défensif et quasi uniforme est, en effet, caractéristique de la guerre de 1914. Déjà en 1915, on voit s’accentuer des noyaux plus épais. D’où vient la fortune nouvelle et sans doute passagère d’une méthode amplement condamnée par les experts ? Elle doit tenir pour partie aux disproportions que nous avons signalées. Le cordon est le dispositif de stratèges qui ont trop de personnel à déployer pour une organisation trop faible du commandement, des communications et des transports. On n’a pas appris jusqu’ici à faire un assez large emploi des instrumens de concentration.

Pour la première fois, on a mis sur pied une quantité d’hommes armés qui suffit à garnir efficacement toute une