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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/147

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plaisirs si multipliés ; on parle de nos malheurs ; on oublie nos félicités. On voit, nous dit-on, plus de vices, de crimes, de souffrances, que de biens et de vertus ; cela n’est pas vrai, car le monde dure et les sociétés subsistent. Or, si nous avions plus de mal que de bien, nous serions bientôt anéantis. S’il n’y avait pas plus d’hommes qui respectent les droits d’autrui qu’il n’y en a qui les violent, plus de pères qui élèvent leurs enfans que ceux qui les exposent ; plus d’époux qui se chérissent que de ceux qui se tourmentent ; plus d’enfans qui soignent leurs pères et qui les respectent que de ceux qui les abandonnent ; plus de citoyens qui secourent leurs semblables que de ceux qui les assassinent, nous nous entr’égorgerions tous et notre espèce n’aurait pas duré deux générations. Elle a duré, elle a multiplié ; elle a même étendu son domaine aux dépens des autres espèces ; elle multiplie encore. Il y a plus de bien que de mal surtout pour les hommes. Etre serait une ingratitude bien honteuse aux mieux doués d’entre eux, à ceux qui ont le plus de génie, s’ils affectaient de méconnaître ce bien dont ils jouissent et s’ils ne prenaient pas soin de le faire remarquer aux autres et de leur montrer que le mal moral n’est pas plus que le mal physique une question insoluble.

Des moralistes ont prétendu que c’est pour nous donner l’occasion d’exercer la bienfaisance que Dieu a permis qu’il y eût des malheureux. Ainsi, selon eux, l’Auteur de tout a sacrifié une partie du monde à quelques créatures privilégiées, afin de leur donner l’occasion de faire du bien et de jouir du plaisir qui en résulte… Oh ! combien cette préférence inique est indigne de la Majesté suprême, de l’incommensurable équité de l’Être des Etres !

Il y a des malheureux, parce que Dieu ayant accordé aux hommes la liberté et l’intelligence et les ayant mis à portée d’étudier et de reconnaître les lois physiques qu’il a données à la Nature pour le succès des travaux et la production des richesses, il y a des hommes qui s’appliquent moins à l’étude de ces lois ou au travail qu’elles prescrivent, tirent moins du produit de ce travail. Il y a encore des malheureux, parce que la conséquence nécessaire des lois physiques faites pour le bonheur et l’ordre général entraînent quelquefois des accidens particuliers. Le feu est bon et sert à mille usages, mais il peut brûler les négligens et avec eux ceux qui les approchent. Le