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C’est là que Saskia, sa femme, est morte ! Une petite pièce, entre les deux, contenait la presse à taille-douce d’où sont sorties tant de merveilles. Au-dessus de l’antichambre et du vestibule, une longue pièce assez basse : l’atelier. C’est ici qu’ont été conçus tous ces chefs-d’œuvre vénérables, la Femme adultère, les Pèlerins d’Emmaüs, la Ronde de nuit, les Bethsabée, les Tobie, le Ménage du menuisier, et tant d’autres ; c’est là, devant l’une de ces quatre fenêtres, que furent gravées la Pièce aux cent florins, Jan Six, le Triomphe de Mardochée, la Petite tombe, les Trois croix, toutes les admirables pièces d’une œuvre inimitable !

Cette maison est la deuxième, à main droite, dans la Joden-Breedestraat, en venant de l’Ecluse Saint-Antoine, et se trouvait presque adossée à celle où Baruch Spinoza ouvrit les yeux à la lumière, le 24 novembre 1632.


La maison des Spinoza donnait sur le Hout-Gracht, le canal qu’on a comblé pour en faire la Waterloo-Plaatz et qui continuait vers les remparts, au coin de la Léproserie, ce Ververs-Gracht, le canal des teinturiers, reflétant aujourd’hui, comme au XVIIe siècle, l’élégante tour de la Zuyderkerk, qui domine tout le quartier.

Dans la grande cité trépidante, c’était un coin tranquille, toute une petite vie provinciale et exotique, assez fermée, que ce quartier, près des remparts, construit à neuf sur les nouveaux agrandissemens de la ville. — Quarante mille Juifs y demeuraient, attirés d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne, du Portugal vers la « Nouvelle Jérusalem » que l’esprit tolérant, et plus pratique encore, du Magistrat d’Amsterdam leur avait permis d’édifier, en marge du grand État prospère.

Sous la férule rigoureuse de leurs « Parnassim, » responsables devant le Conseil de la ville, ils observaient rituellement les lois mosaïques ou le Talmud et se livraient à tous les commerces, sauf à l’exercice des métiers demeurés interdits.

Mais ce n’était pas un Ghetto à l’italienne, une cité fermée réservée aux seuls Juifs. De nombreux artistes y demeuraient, séduits par le pittoresque de cette foule singulière. Rembrandt y avait comme voisin immédiat le célèbre peintre Nicolaës Elias, dit Pickenoy, son aîné, qui jouissait d’une vogue énorme,