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Sans doute, dans cette grande masse de croyans, il y a des catégories à établir. Même dans le clergé, il existe des divisions, voire des hostilités plus ou moins latentes. Ce n’est pas ici le lieu d’y insister. L’intéressant est de constater cette presque unanimité, sinon précisément de la foi, du moins de l’opinion religieuse. Un écrivain de mes amis ne cessait de me le répéter pour ma gouverne : « Grattez l’Espagnol, vous trouvez le moine ! » Parmi les ministres libéraux, ceux sur l’amitié de qui nous pensons pouvoir le plus compter, il en est qui sont de zélés pratiquans, qui assistent dévotement à la messe, tous les matins. Un des grands chefs des gauches est assidu aux offices dans une chapelle élégante. Tâchons de nous mettre à leur place et demandons-nous comment ils doivent juger la conduite de notre gouvernement à l’égard du catholicisme. Ils ont pu nous suivre jusqu’à un certain point dans notre campagne contre les congrégations, s’affirmer les champions du pouvoir civil contre les empiétemens du clergé, préconiser une certaine tolérance en faveur des cultes dissidens (n’oublions pas qu’en Espagne le catholicisme est officiellement la religion de l’État) : toujours est-il qu’ils se défendent d’attaquer l’idée religieuse, bien plus, qu’ils tiennent à honneur de rester catholiques.

Quant au peuple, il s’y trouve évidemment des réfractaires dans les centres socialistes et anarchistes. Mais combien timides, en dehors des émeutes locales, d’ailleurs vite réprimées ! On me contait ce fait divers tout récent. Dans une grande ville d’Espagne, les socialistes de l’endroit tinrent un meeting le jour de la Fête-Dieu. Au sortir de la réunion, un groupe de manifestans croisa la procession du Corpus. Vous pensez peut-être qu’il y eut une collision ? Pas du tout. Ces farouches anticléricaux ôtèrent leurs casquettes et se mirent à genoux comme les camarades. Il va sans dire que la masse paysanne est demeurée intacte. Depuis un temps immémorial, ces gens sont accoutumés à confondre l’instinct patriotique avec le sentiment religieux. L’Espagne est certainement le pays du monde où le catholicisme est le plus marqué à l’empreinte nationale. Le clergé, quoi qu’on dise, y reste très populaire. Il se mêle familièrement à la vie et même aux plaisirs de tous. Il entre dans les cafés, assiste aux jeux de pelote et aux courses de taureaux. Constamment, on croise des jeunes prêtres qui se promènent avec des ouvriers en bourgeron, leurs parens ou leurs amis d’enfance. J’ai vu des