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consisté à tenir la balance de l’Europe en empêchant un seul État de prévaloir : or, une telle partie ne se peut jouer que sur le continent, et, en présence d’une Europe en armes, ne peut plus se décider sans armées puissantes.

En outre, plusieurs années déjà avant la guerre, les partisans de la League dénonçaient le péril germanique que la flotte seule ne suffisait pas à écarter. Ils faisaient remarquer que l’établissement de fortifications et d’un port de guerre à Helgoland menaçait directement l’Angleterre : qu’à Emden, petit port obscur sur la mer du Nord, de longs quais maritimes d’une étendue considérable étaient construits pour l’embarquement d’une énorme masse de troupes. Et, dès 1909, lord Roberts avait.démontré à la Chambre des Lords la possibilité d’un rassemblement de 150 000 hommes dans les ports allemands, directement et même sans recourir aux procédés de la mobilisation.

Enfin, la League démontrait l’existence d’un danger plus grand et plus proche. Les pangermanistes ne cachent pas leurs visées ambitieuses sur les provinces maritimes du Nord de la France, et convoitent Calais et Dunkerque aussi âprement que Nancy. Une fois ces ports entre les mains allemandes, c’en serait fait de la puissance maritime et commerciale anglaise. « Les temps sont changés depuis le jour où M. Balfour déclarait que le problème de la défense de l’Empire était celui de l’Afghanistan. Aujourd’hui, le problème de la défense de l’Angleterre est celui de la défense de la France. » Ainsi s’exprimait prophétiquement en 1909, dans un article retentissant, Germany and England, le grand écrivain socialiste M. Robert Blatchford, ancien rédacteur du Clarion, et aujourd’hui un des plus chauds partisans de la conscription, et il ajoutait : « L’Allemagne n’a pas besoin d’envahir l’Angleterre pour la frapper ; elle peut atteindre sa rivale là où celle-ci est vulnérable, sur le continent, en France. »

Ainsi, pour jouer un rôle en Europe dans les conflits futurs, pour se garder contre le péril germanique prévu et dénoncé par quelques hommes d’État clairvoyans, pour défendre l’Empire britannique en défendant la France, une puissante armée anglaise était proclamée nécessaire. Or, les enrôlemens en temps de paix ne fournissaient à la Regular Army qu’un contingent péniblement recruté de 36 000 hommes en