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raconter les incidens de la promenade qu’ont faite un certain jour, sur un certain lac, Alphonse de Lamartine et Julie Charles. Mais il n’est nul promeneur amoureux qui ne retrouve dans sa propre émotion un peu de leur émotion. Ainsi, les souvenirs littéraires, la réalité et la Action se mêlent et deviennent : la Poésie.

Voulez-vous voir maintenant le portrait que le poète a tracé de lui-même, au cours de ses Méditations, et comment il l’a poussé au « type ? » L’art classique est fait de choix. Parmi les sentimens qui se pressaient, et souvent se contrariaient, dans son âme juvénile, Lamartine a choisi, éliminant les uns, accentuant les autres : il s’est simplifié, unifié. Un examen un peu attentif de la Correspondance ne nous laisse à ce sujet aucun doute. On sait combien cette correspondance abonde en renseignemens psychologiques pour les années de jeunesse. Dans les longues lettres de cette époque, si intimes, si sincères, le jeune homme inquiet, qui se regarde vivre, décrit, suivant l’ami auquel il s’adresse, les états d’âme avec lesquels son correspondant peut le mieux sympathiser. Toutes les émotions qu’il transposera dans ses vers s’y trouvent déjà consignées ; on les y saisit comme à leur source ; et, ainsi, il est vrai de dire qu’il a vécu sa poésie. Mais ces émotions ne sont pas les seules qui aient fait vibrer son âme. Sa vie intérieure est plus complexe que celle dont les Méditations portent le témoignage. Oui, le solitaire de Milly a eu ses heures de lassitude et de découragement ; oui, il a traversé ces crises de désespoir durant lesquelles tout nous devient indifférent de ce qui n’est pas notre propre détresse. Mais il était jeune, ardent, dévoré d’ambition : sa nature énergique reprenait vite le dessus ; il réagissait contre une dépression passagère pour s’élancer vers l’avenir, avec toute la violence passionnée propre aux âmes de désir. Après la mort de Mme Charles, son chagrin fut immense et de ceux qui se prolongent par un éternel regret : qui pourrait en douter ? Pourtant dans ces jours mêmes où on pourrait le croire anéanti par la douleur, nous le voyons tout occupé de projets littéraires et autres, dans une fièvre d’activité et une fermentation d’idées. En 1819, il est malade et, dans l’Automne, il dit adieu à la vie : cela ne l’empêche pas de multiplier les démarches pour obtenir un poste diplomatique et de lutter avec énergie contre les répugnances de la vieille dame anglaise qui refuse la main de