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étaient des objets qu’un Genevois n’avait plus le droit d’acheter ou de vendre ou de fabriquer ; défense était faite à l’art d’offrir à l’ « idolâtrie » papistique un appât ; et les bons « ymagiers, » ainsi sevrés d’une source séculaire d’inspiration, s’en étaient allés dans des terres plus clémentes, où leurs mains industrieuses pourraient encore faire planer sur l’angoisse des hommes le crucifix qui console ou la statue qui bénit. Dans les boutiques qu’ils avaient laissées vides, il y avait eu place pour un autre métier, qui, lui, ne chômait pas, et qui chaque jour réclamait plus de bras et plus de matériel : la typographie. Les Psaumes de guerre et l’Evangile de paix, le libelle théologique et le pamphlet politique s’imprimaient à Genève, à profusion. Toute une vie intellectuelle nouvelle s’était installée, subordonnée au service de la foi nouvelle ; et les artisans de ces nouveautés, c’étaient le plus souvent des Genevois de très fraîche date, ou même des étrangers. Le nom de Genève courait sur les lèvres des hommes, s’inscrivant orgueilleusement au frontispice des livres religieux qui aspiraient à changer les âmes.

Il n’était pas rare qu’entrant dans une de ces églises où jadis résonnait la messe latine ou le sermon en langue savoyarde, le vieux Genevois se heurtât désormais à des flots d’éloquence allemande, anglaise, italienne, qui tombaient du haut des chaires sur des auditoires d’étrangers. Genève était une ville cosmopolite, — cosmopolite comme l’idée religieuse elle-même, qui régnait en souveraine sur sa vie. Au nom de la religion, Genève s’ouvrait, mais au nom de la religion, Genève se fermait : cette Cosmopolis ne pouvait pas dégénérer en Babel. Quand les infidèles, « idolâtres » de la veille, frappaient aux portes pour se convertir, le Consistoire les interrogeait sur leur foi, sur leurs croyances ; il les recevait, ou bien il les ajournait, les condamnant alors à n’être encore ni des citoyens, ni même des hôtes, parce qu’ils n’étaient pas encore des chrétiens assez sûrs, assez purs. Le rapport de ces nouveaux venus avec la cité de Genève dépendait de leurs rapports avec Dieu, avec l’Eglise de Dieu ; leur point d’attache avec Genève, c’était Dieu ; Genève était « l’assemblée des hommes de Dieu, » qui, « sous les yeux de Satan, » travaillait à se multiplier, mais qui n’acceptait pas de se laisser contaminer.

Jadis les voisins de Genève s’intéressaient à elle, parfois pour la défendre, souvent pour l’attaquer ; mais aujourd’hui, c’était