Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/587

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais elles attestaient que la prospérité même à laquelle l’art de Barème avait conduit quelques familles suscitait certaines tentations de faste, qui chercheraient un accommodement avec les ordonnances du consistoire, et qui sauraient le trouver.

Au-dessous de la caste patricienne, caste intègre et savante, qui se réservait les magistratures, et qui confisquait peu à peu pour elle et pour ses gendres les chaires mêmes de l’Académie, les citoyens genevois, — ils étaient 1 300 à peu près, — formaient une caste à leur façon, qui ne tenait plus à élargir ses rangs : c’est à ce degré de l’échelle sociale que naquit Jean-Jacques ; et tout démocrate qu’il fût en théorie, il se flattait, en vers assez méprisans pour la foule commune des habitans non genevois, d’avoir,


… par sa naissance,
Le droit de partager la suprême puissance.


Au XVIIIe siècle le droit de bourgeoisie était mis à très haut prix, et comme rarement les survenans possédaient cette somme dans leur gibecière, ils devaient demeurer des Genevois de seconde classe. Leurs fils, leurs petits-fils, participaient de cette disgrâce : ainsi se formait l’immense classe des « natifs » qui, nés à Genève, n’y avaient aucun droit, même pas celui de devenir maîtres horlogers, et qui, dans cette profession réputée, ne purent longtemps être admis à l’apprentissage que par tolérance. Calvin jadis avait forcé Genève d’être accueillante à l’endroit des immigrés que leur foi avait précipités vers ses portes ; ces traditions d’accueil avaient définitivement cessé. Les immigrés de l’époque de Calvin parlaient haut dans le Conseil souverain ; la plupart des immigrés du XVIIIe siècle, et leurs enfans, et leurs petits-enfans, n’eurent pas le droit d’y parler, même d’y voter. Disputes, d’une part, entre patriciens et simples citoyens, dont les patriciens limitaient la souveraineté politique, entre patriciens et « représentans, » comme on les appelait ; disputes, d’autre part, entre représentans et natifs, à qui patriciens et représentans marchandaient les droits civiques : voilà ce qui occupa Genève au XVIIIe siècle, et pour pacifier ces discordes, en 1738, 1765, 1782, on n’appela pas seulement la médiation de Zurich et de Berne, mais celle de la France, celle de la Sardaigne, — deux peuples catholiques, qui souverainement intervenaient dans les affaires intérieures du peuple de Dieu. Il