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semblait que les passions politiques fussent devenues plus fortes que les susceptibilités religieuses ; le vaincu de l’Escalade, qui cent quatre-vingts ans plus tôt avait failli ramener dans Genève la foi romaine, était investi par Genève, en 1782, du droit de dire un mot dans ses destinées.

Patriciens, représentans et natifs, tous fidèles de la Réforme, avaient cependant sous la main, comme arbitres, comme pacificateurs, les interprètes de la parole de Dieu, les pasteurs. Pourquoi ne les consultait-on pas ? Pourquoi s’adressait-on au roi de France ou bien à celui de Sardaigne ? C’est que ces interprètes, parfois nommés pasteurs en considération du mérite de leur père ou de leur grand-père, avaient généralement des liens trop étroits avec le patriciat pour inspirer politiquement confiance au reste de la cité. Quelque désir qu’eût la Compagnie des Pasteurs d’apaiser les discordes, elle devait se borner, généralement, à des vœux assez vagues, à des maximes qui prêchaient l’ordre, mais dont le désordre riait. En temps de trouble, les pasteurs tâchaient d’agir, mais leur effort pour ramener la paix n’était qu’une agitation de plus. Lorsqu’en 1782 les troupes sardes et françaises vinrent rétablir l’hégémonie patricienne, ils obtinrent qu’elles ne donnassent pas immédiatement l’assaut, et que Genève révoltée eût un certain délai pour ouvrir ses portes. En fort honnêtes gens qu’ils étaient, ils faisaient de leur mieux ; mais ce qu’ils pouvaient était peu.

Le principe calviniste du Sacerdoce universel, qui, dans les petits groupemens puritains d’Angleterre et d’Amérique, affermissait la notion d’égalité, n’avait pas été représenté par le corps pastoral, du haut des chaires de Genève, comme susceptible d’une sanction politique : tout au contraire, les évolutions politiques de la cité durant les deux siècles et demi qui suivirent Calvin s’accomplirent toujours à l’encontre de l’idée d’égalité, à l’encontre des tendances démocratiques. Lisez les mémoires que multipliaient au sujet de leurs revendications les adversaires du patriciat, représentans et natifs : ce n’était pas dans le droit public d’origine calvinienne, c’était dans le vieux droit du moyen âge, dans la charte de l’évêque Fabri, dans les antiques Franchises, qu’ils cherchaient des appuis. En une page de ses Lettres écrites de la Campagne, le procureur général Tronchin s’agace de les voir ainsi s’enfoncer dans les XIVe et XVe siècles pour y trouver l’esprit de la Constitution