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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/592

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gêner les goûts dramatiques de Monsieur de Voltaire. D’Alembert, invité aux Délices, prépara pour les colonnes de l’Encyclopédie cette petite révélation : et l’Europe lut, dans l’article de d’Alembert, que plusieurs pasteurs de Genève ne croyaient point au Christ, ni à l’enfer, ni à l’inspiration de la Bible, et qu’ils recommençaient a croire au Purgatoire, « qui avait été une des principales causes de la séparation des protestans d’avec l’Église romaine. » Ils étaient sociniens, d’une part, et d’autre part, ils revenaient à certaines idées papistes, « nouveau trait à ajouter à l’histoire des contradictions humaines. » Voltaire, à peu près en même temps, dans son Essai sur les mœurs, célébrait Servet, aux dépens de Calvin : « De savans pasteurs des églises protestantes, ajoutait-il perfidement, ont embrassé le sentiment de Servet et celui de Socin. » Les pasteurs étaient fort embarrassés. D’abord ils se fâchèrent : « Ces drôles osent se plaindre, » ricanait Voltaire. Ils réclamèrent des rectifications : « Cela ne me regarde pas, » répliqua Diderot. Un d’eux, désireux de plaider pour Calvin, demanda aux magistrats communication du procès de Servet ; et le syndic lui répondit qu’il n’y avait pas intérêt à traiter cette question-là ; le dossier fut refusé. On renoncerait donc à défendre Calvin contre Voltaire, mais on voulait, du moins, défendre la Compagnie contre d’Alembert.

Alors fut concertée, péniblement, une déclaration de principes : « Il faut un peu de temps, disait spirituellement une Genevoise, quand il s’agit de donner un état à Jésus-Christ. » Encore l’état que les pasteurs de Genève donnaient à Jésus-Christ demeura-t-il mal défini, et plus proche de celui d’être divin que de celui de Fils éternel de Dieu. Ils n’auraient eu qu’à dire : « Nous avons parmi nous des sociniens et parmi nous des orthodoxes ; nous interprétons librement l’Écriture, chacun d’après notre conscience. » Mais à peine osaient-ils s’avouer à eux-mêmes les conséquences de cette liberté d’interprétation. Ils préférèrent afficher leur union ; et pour l’afficher, ils ne purent donner, ni sur la divinité du Christ, ni sur la Trinité, ni sur l’inspiration de l’Écriture, des précisions assez rigoureuses pour que l’Europe pût dire que d’Alembert avait menti.

De Montmorency, Rousseau, dans sa Lettre sur les Spectacles, tenta de venger ces « officiers de morale, ces ministres de vertu, » à qui d’Alembert avait si méchamment fait du chagrin, et de défendre la discipline de Calvin contre ces nouveautés