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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/814

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d’Etaples, publié en 1527 un Traité des Cinq Universaux, dédié à Jacques de Gouvea, où il rompt avec le passé. Non content de cette rupture, il déclare à ses élèves qu’il ne peut continuer son enseignement avant d’avoir refait son instruction : et il se retire. Son domestique, Guillaume Postel, pauvre enfant de la Basse-Normandie, que la soif d’apprendre et des aventures picaresques avaient amené à Sainte-Barbe, prodigieusement doué pour les langues, se levait tous les matins avant quatre heures et préparait le texte grec qu’il expliquait ensuite à son maître, moins bon helléniste. Maître ès-arts, lui aussi, il se désenchante d’Aristote, se jette dans les mathématiques, puis part pour l’Orient et fonde, à son retour, l’enseignement des langues orientales. Il mourra fou, au prieuré de Saint-Martin-des-Champs, mais d’une folie très douce qui ne se traduit que par l’extrême volubilité et l’audace chimérique de ses conceptions, et qui groupe autour de lui, jusqu’à sa dernière heure, des auditeurs attentifs et charmés. Fernel professe la philosophie. Aucune classe n’est assez spacieuse pour contenir les assistans. On transporte sa chaire dans la cour. Il fait en même temps un cours de mathématiques, mesure un degré du méridien, « soupçonnant que les calculs des anciens ne méritaient pas une confiance absolue, » et se passionne pour l’astronomie, qui fut son vice. Mais du jour où il entend son collègue de rhétorique Louis d’Estrebay, dit Strebœus ou Strébée, le premier cicéronien de France, il se sent si inférieur dans l’art de la composition et du discours latin qu’il abandonne sa chaire, lui demande des leçons et finalement se tourne vers la médecine, où se fixe son génie. Et voici Buchanan, le fils d’un petit laird écossais, qui a été élevé en France, qu’on a rompu dès son enfance à la prosodie latine, qui sera tenu pour un des meilleurs poètes néo-latins de son siècle, et dont du Bellay a célébré les vers « aux plus vieux comparables. » On lui a donné la troisième de Sainte-Barbe. Il est fin, ironique, incisif, agressif, peu aimé de ses collègues. La Sorbonne ne lui pardonnera jamais l’admirable épithète de sterilis veri qu’il lui a décochée. Mais il explique Virgile avec le même charme entraînant que s’il l’avait découvert. Et, de fait, il a découvert sa beauté vivante. Il l’a nettoyé de cette poussière de fausse érudition qu’y avait amassée la scolastique et qui ressemblait à celle que, dans ces dernières années, nous avait apportée la philologie allemande.