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déclarait en plein Conseil d’État, d’une voix douloureuse : « Il ne s’agit plus d’une Escalade de nuit qui échoue, mais d’une Escalade de vingt-cinq ans qui réussit. » Il ne déplaisait pas à Vuarin que son Eglise acceptât cette réputation d’escaladeuse, qu’elle se conduisit en importune, et qu’elle convainquit ainsi les Genevois, dussent-ils en être endoloris, et de son existence, et de son droit de vivre. Sans ménagement, sans aucune de ces transitions que volontiers eût concertées l’évêque Yenni, Genève, à l’école de ce curé, fit un très rude apprentissage de la vertu de tolérance, un apprentissage au cours duquel elle fut plus d’une fois houspillée, bousculée, publiquement dénoncée pour ses lenteurs, ou pour ses délits, ou même, parfois, pour ses peccadilles d’intention. Elle avait, en Vuarin, un surveillant qui ne lui passait rien ; elle voyait ses actions, et même ses pensées, déférées à l’opinion du monde par un prêtre papiste, disposant en Europe d’un réseau d’influences qui le rendaient intangible, et elle savait que ce prêtre ne se laisserait déraciner du sol de Genève qu’au jour où Dieu le rappellerait.

Rares étaient, au temps de Vuarin, les esprits comme Gaspard de la Rive et son fils Auguste qui, rêvant d’une alliance entre catholiques et protestans contre l’impiété, servaient en quelque sorte de lien entre les deux Genèves, entre celle qui, glorieuse de son passé religieux, s’y cramponnait et voulait le perpétuer, et celle qui, au nom même des idées de liberté, devait accepter un nouveau contact avec l’antique foi jadis émigrée ; ils demeureront rares, longtemps encore, jusqu’à ce qu’ils trouvent dans la personne du philosophe Ernest Naville un interprète admirable, et qui osera parler. En face de ce petit groupe, beaucoup de Genevois, à travers le siècle, porteront le deuil de l’ancienne Genève, de la Genève d’avant Vuarin, de la Genève qui n’était pas encore une République mixte : il leur semblera que la survenance d’une confession nouvelle est comme une atteinte à l’intégrité de leur patrie. Ce sont ces Genevois qui, en septembre 1837, pousseront et suivront à Saint-Pierre et dans un autre temple le pasteur Jacques Caton-Chenevière et cinq de ses collègues : malgré l’Etat qui, par égard pour la paix confessionnelle, préférait faire célébrer par Genève, d’accord avec tous les citoyens de la Suisse, le Jeûne Fédéral, ils voudront rétablir le vieux Jeûne Genevois, commémoratif de la Saint-Barthélémy, le vieux Jeûne qui, vis-à-vis de l’infiltration