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avait dans beaucoup d’âmes une douloureuse répercussion. Pierre par pierre s’écroulaient donc les vieux remparts de Calvin, les remparts derrière lesquels le peuple de Dieu avait jadis barricadé sa foi, et que ses coreligionnaires d’Angleterre, de Hollande, de France avaient souvent édifiés de leurs deniers et parfois même de leurs bras. Mais James Fazy n’était pas sensible à ces évocations historiques : les réalités du jour, celles du lendemain, dictaient seules sa politique. « Le cercle étroit où on se mouvait matériellement, déclarait-il, était la dernière barrière contre l’émancipation intellectuelle et industrielle de notre cité. » Il fallait donc que ce cercle tombât... Et, pour le faire tomber, pour démolir un de ces bastions qui portait le nom de Bastion Royal et qui avait été élevé par l’argent des Hohenzollern, on voyait affluer, en 1851, les habitans des nouvelles communes savoyardes. Sous le regard de la vieille Genève protestante, toute cette foule catholique, venue de pays catholiques, procédait au nivellement des bastions.

Une statistique du temps marque le chiffre de 4 029 journées de travail faites par 1 773 hommes. Ces ruraux arrivaient pour démanteler la ville, pour aplanir le sol, en vue de la construction de la grande église Notre-Dame, pour laquelle Fazy concédait aux catholiques l’emplacement du Bastion Royal. Et les vieux Genevois se redisaient que, trois siècles plus tôt, la Réforme, aidée par de braves étudians et des professeurs du Collège, avaient construit les fortifications de Genève ; et qu’aujourd’hui le catholicisme, aidé par les bras des paysans savoyards, contribuait à les renverser.

Les traités de 1815 avaient donné à l’Etat de Genève une figure nouvelle, en face de laquelle la ville même de Genève représentait le passé. Fazy donnait à la ville même de Genève une figure nouvelle : matériellement et moralement, il y défaisait l’œuvre de Calvin ; il rendait Genève méconnaissable pour les Genevois qui avaient eu vingt ans en 1815, comme Calvin l’avait rendue méconnaissable pour les Genevois qui avaient eu vingt ans en 1535.

Voilà près de quarante ans que James Fazy est mort : il garde encore à Genève de nombreux ennemis. Ils détestent ce radical qui avait des goûts de patricien, ce libertin qui porta la main sur l’arche de l’Eglise, ce Protée qui souleva la révolution