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en troupe, avec des morceaux de bois en forme de fusils, des chiffons sur le dos à la place de sacs, et de vieilles boîtes de conserves en guise de gamelles. Il battait aussi pour (es communications officielles, mais il n’y était toujours de même question que de guerre. Tantôt, il s’agissait de réquisitions, tantôt de recrutement, tantôt de prisonniers allemands qui s’étaient évadés d’un train, et le crieur, un soir de mai, publiait ainsi, à la tombée de la nuit, un avis à la suite duquel les colloques se prolongeaient longtemps et bruyamment devant les portes. Cinquante réfugiés du Nord, évacués avec d’autres sur l’Ouest et sur le Midi, étaient annoncés pour le lendemain, et la nouvelle mettait toute la localité en révolution.

La première impression était l’étonnement. Sans médecin, sans pharmacien, sans gendarmes, sans facilités de transport, le bourg, depuis déjà dix mois de guerre, n’avait encore reçu ni réfugiés, ni blessés, et croyait n’en jamais recevoir. Vrais ou faux, d’autre part, tant de bruits fâcheux avaient couru sur les réfugiés, et tant d’endroits passaient pour en avoir souffert, qu’on n’était pas non plus sans craintes. Enfin, prévenus aussi tardivement, les habitans se demandaient comment ils pourraient bien être prêts à recevoir toute cette colonie.

Le lendemain, cependant, les craintes s’étaient tout de suite dissipées. C’était jour de foire, on n’en accourait que plus en nombre à la petite gare du tramway pour y voir débarquer les nouveaux venus, et leur aspect calmait les appréhensions. A quelques exceptions près, tous étaient fort proprement mis, et ceux mêmes qui paraissaient pauvres avaient la meilleure tenue. D’autres surprenaient même plutôt par leur air d’aisance, ou le volume et la quantité de leurs bagages. Un meunier se faisait suivre d’un coffre énorme qu’il fallait porter à trois, et quelques femmes avaient presque fait de la toilette. Aucun, en somme, n’annonçait rien d’inquiétant, et la Mairie leur trouvait assez facilement des gîtes. Il y avait une dizaine de familles belges, d’Ypres ou des environs, et d’autres de nos départemens du Nord. Les uns étaient des mineurs, d’autres des employés de fabriques, d’autres des cultivateurs, d’autres exerçaient d’autres métiers. On était à la veille de la Fête-Dieu, presque tous en suivirent le lendemain la procession avec recueillement, et les gens du pays n’avaient pas assez de curiosité et d’ébahissement pour regarder défiler toutes ces