Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la section, la pièce. Il y a la question des cuisines et celle des abreuvoirs. Quand les fourriers ont résolu tous ces problèmes, fixé tous ces points, la place est prête pour nous, et nous pouvons entrer.

Le hasard et leur industrie nous ont servis à souhait aujourd’hui, et c’est vraiment un cantonnement idéal que celui où je fais mon tour quotidien, à cinq heures après midi. La capitale question de l’eau se trouve toute résolue par l’abondance des puits et la commodité des auges ; les chevaux, bien abreuvés, en sont à la botte du soir. Sous des hangars spacieux, qui les couvrent de soleil, mais où l’air circule de toutes parts, dans la litière jusqu’au ventre, ils ont des mines de bêtes heureuses ; et leurs conducteurs, heureux de ce bonheur, les regardent avec satisfaction. On a suspendu le harnachement à des tas de fagots, formé des panoplies d’armes et de trompettes, des guirlandes de gourmettes. La cuisine, toute proche, exhale une odeur d’oignon. Avec de la vaisselle officieusement prêtée par l’hôtesse, on a pu mettre un couvert. Rien ne manque, pas même une mare pour pêcher des grenouilles ; mais l’intérêt principal, le pittoresque vrai du tableau est dans le gourbi sous lequel ils ont abrité les selles, les paquetages, tout ce qui craint les risques de pluie. ;

C’est une fabrique rustique, au toit d’ajoncs, posée sur des pieux grossièrement équarris, à la fois grenier, cellier, fruitier, resserre d’outils et de semences. Il y a des établis, des billots, des étaux, des scies, des maillets, des cages à poules, des claies à fromages, des chaînes d’oignons, des pommes de terre, des noyaux de pêche, des bouteilles, que sais-je encore ? Le lieu est obscur et frais ; la verdure qui le tapisse glisse au dedans quelques pousses de lierre et des tortils de liseron ; je lui trouve je ne sais quoi de sincère, de bucolique et de charmant.

Le garde d’écurie, abrité là-dessous, y mange sa gamelle. Malade ces jours-ci, il a repris des couleurs ; sa toilette est faite, et l’on ne peut qu’admirer l’élégance, la douceur de physionomie, la distinction aristocratique des traits de cet ouvrier de Paris, prédestiné par la nature à quelque besogne intellectuelle. Il n’a d’autre ambition cependant que d’être bon soldat pendant deux années et bon ferblantier après.