Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais que de variétés dans les mœurs sauvages ! Comment faire la synthèse de la mentalité sauvage, jusqu’à créer le type du primitif ? Puis, quel abîme entre les prétendus sauvages qui ne sont que des civilisés en retard, et l’anthropoïde grossi en qui se composaient des idées obscures, au hasard de sa lutte contre les êtres et contre les élémens !

Cependant, la troupe qui repart après un repos traverse alertement, monte d’une seule haleine les rues de Preuilly-sur-Blaise. La traversée des lieux habités agit sur elle à la manière d’un coup de fouet : c’est connu. Je ne sais si cette excitation passagère provient d’un désir de paraître, ou si c’est l’effet réflexe produit par la vue des choses et des gens. Mais, arrivés sur le long plateau qui s’étend vers Charnizay, une variation d’allure se produit en sens inverse. Conséquence fatale, dit le docteur, de ce que la route est rectiligne et qu’on n’aperçoit pas de village à proximité.

Il faut alors sévir contre quelques traînards, faire la grosse voix, menacer de punition, envoyer au serre-file une consigne sévère. Les Parisiens sont de médiocres marcheurs, mais par les lazzis qu’ils font ils aident les autres à marcher. Le docteur et moi, nous sommes bien d’accord pour défendre l’accès de la voiture médicale impitoyablement. Quelques-uns cependant, qui font les clampins, ne demandent pas d’autre faveur que de marcher leur propre pas. Ils rejoignent ponctuellement aux haltes, avec un retard régulier, leur retard personnel.

— Dis donc, François, dit l’un d’eux. L’as-tu vu, le jet de vapeur sur la rivière ?

François, moins attentif aux paysages, répond à peine. Il mange et boit. Les deux camarades s’asseyent côte à côte au revers du fossé, et se désaltèrent l’un après l’autre au goulot du même bidon.


Ce souple organisme, la troupe, s’applique immédiatement à la configuration des lieux. Les fonctions communes prennent pour centres les points de réunion placés au cœur de la localité : la mairie, le champ de foire, la salle de la justice de paix ; là, siège le médecin, le vétérinaire, l’adjudant d’état-major. Hommes et chevaux, groupés pour le repos comme ils le sont pour la marche, occupent les différens secteurs ; un même secteur se fractionne selon les élémens constitutifs de la troupe :