Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que partager leur avoir et que cohabiter ; ils font plus que s’aligner les uns sur les autres. Ils prennent aussi appui entre eux, ils s’aident à vivre et à travailler. Chacun à son tour balaye la chambre et apporte les plats au réfectoire ; chacun à son tour monte la garde d’écurie, les sabots aux pieds et le fouet en sautoir ; chacun monte la garde de police, le sac au dos et la jugulaire sous le menton. La loi d’égalité règle la distribution des rôles. On suit l’ordre d’ancienneté, pour les sous-officiers et les brigadiers ; pour les hommes, on suit l’ordre des matricules qui détermine conventionnellement l’ancienneté.

Ce remplacement perpétuel des uns par les autres, ce respect qu’on a des « tours » leur donne bien le sentiment qu’on observe vis-à-vis d’eux la justice et qu’on les traite selon le principe d’égalité. Mais ce ne sont là que des besognes d’ordre intérieur, c’est du commandement à l’état « statique » pour ainsi dire, sans impulsion ni mouvement. Le dernier degré, celui qui mène à l’action militaire, à la dynamique du métier, consiste dans l’instruction professionnelle. L’officier forme donc, — comme l’instituteur forme des écoliers, — des fantassins, des cavaliers, des canonniers, et non seulement il les rompt à la pratique des besognes individuelles, mais il les exerce et les combine ensemble, il les assemble et les superpose, il les multiplie les uns par les autres. Le résultat de cet enseignement est la discipline expérimentale, la discipline moderne d’élèves instruits, discipulus, dans leur métier de guerre ; il est l’achèvement de l’œuvre à trois étages, qui est l’un économique, l’autre domestique, et le dernier seul militaire, à proprement parler.

Or, l’éducation militaire est le but essentiel dont rien ne doit détourner l’attention des officiers. Ce qu’il faut qu’ils obtiennent, c’est une troupe prête à tous les actes de la guerre, et, par-dessus tout, aux besognes critiques et sanglantes du champ de bataille. Dans quelle mesure cet idéal est-il réalisé ? La guerre seule pourrait le dire. Un grand pas est fait cependant, un grand bien est assuré quand la camaraderie militaire est réalisée, quand les soldats se secourent, s’entr’aident, devinent les besoins ou la peine les uns des autres. On a, en effet, dans cet altruisme du temps de paix, comme le germe ou la racine du dévouement qu’ils pourront déployer sur le champ de bataille. C’est pourquoi je me réjouis d’avoir vu aujourd’hui Gimbert parcourir le cantonnement pour retrouver un sac