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égaré, celui du cuisinier, et faire ensuite quatre kilomètres au soleil en rapportant ce sac sur son dos.


Brassieux, 12 août.

Le parc est évacué, les lieutenans installent leurs sections. C’est pour le capitaine un instant de répit. J’en profite pour parcourir les journaux que le vaguemestre vient de me remettre. Assis sur une borne, à l’ombre d’un tilleul, je lis une dissertation sur la flotte anglaise et sur la flotte allemande, des commentaires sur la rencontre des deux empereurs à Swinemunde et sur la revue du home fleet passée par le roi d’Angleterre.

L’auteur s’inspire d’un article publié à la National Review par M. Wilson et s’exerce sur le thème de la comparaison des forces navales allemandes avec la Channel fleet anglaise. Le succès des premières, au cas d’une attaque brusquée contre la seconde, lui paraît possible. L’Allemagne serait libre ensuite de débarquer en Angleterre une armée d’un effectif imposant.

C’est toujours l’utopie du débarquement en Angleterre. C’est le vieux projet de la royauté française, de la Révolution, de Napoléon. Tous ces pouvoirs s’efforçaient en vain d’arracher à la Channel fleet d’alors le commandement des eaux du canal. S’ils n’y réussissaient pas, une marine européenne d’aujourd’hui y réussirait moins encore, car la Channel fleet n’est pas toute la marine anglaise ; même battue, elle ne perdrait pas le commandement de la mer ; même débarquée, une armée d’invasion ne tiendrait pas la victoire, menacée qu’elle serait sur ses derrières par un retour offensif des escadres anglaises rappelées de toutes les mers à la défense de la mer métropolitaine.

Tout se ramène en définitive à arracher à l’Angleterre le commandement général qu’elle exerce sur les « vagues. » Je réfléchis une fois de plus à ce Sea power ; mais un de mes soldats m’interrompt pour me présenter son soulier. Il ne sait plus comment marcher : la semelle est complètement séparée de l’empeigne. L’accident s’est produit tout à coup au choc d’une grosse pierre.

— Nous verrons, lui dis-je, si l’ouvrier bottier peut le raccommoder. Plus que deux étapes ; rentrés à Orléans, nous sommes à portée de nos ressources : nous pouvons nous recompléter.

Il s’en va content. Et moi plus content encore de la