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La Selle-sur-le-Bief, 31 août.

Nous faisons au point initial ce qu’on appelle une partie de drogue, étant partis à dessein un peu tôt des cantonnemens confus que nous occupions dans les bois et où nous nous trouvions enchevêtrés avec les fantassins. Par crainte de les couper en chemin, nous avons anticipé sur l’heure, et nous voilà arrêtés à ce carrefour du Gouet, avant même que la pointe d’avant-garde n’y ait passé. J’y retrouve, sur son beau cheval Fortunio, mon ami Journet, que je n’avais plus revu depuis les manœuvres de Chartres, en 1900. L’officier d’état-major y arrive à son tour, puis le chef d’état-major. Il donne un ordre à un officier de cavalerie, chargé de patrouiller sur le flanc gauche de la colonne. A moi-même, il m’assigne ma place définitive dans l’avant-garde. Et quand toute cette cuisine est faite, voici poindre la tête, puis défiler le gros de l’avant-garde. Nous y entrons, et voici, se dessinant devant nous à leur pas lent, qui raccourcit celui de nos chevaux, les fantassins, plies sous le poids du sac et du fusil.

7 heures. La traversée de Montargis. 7 h. 50. La halte horaire. Une heure encore, puis de nouveau la halte. Nous allons ainsi, sans que l’ennemi nous montre autre chose qu’une poussière de cavalerie, rien qui vaille la peine qu’on s’arrête, ni qu’on lui adresse un coup de canon. Mais après la chapelle Saint-Sépulcre, ce harcèlement devient plus fréquent, plus irritant. A la fin, c’est une fusillade véritable bordant un bois tout proche ; une compagnie se déploie contre cette lisière, tiraille et forme un rideau, derrière lequel la colonne continue à défiler. Plus loin, ce sont des formations de cavalerie qui se montrent dans une clairière. Si peu denses qu’elles soient auprès de nous, elles prétendent attaquer. Un escadron approche, grandit et se jette d’écharpe sur l’infanterie. Il ne nous avait pas vus, sans doute. Mais par le mouvement : « Halte en batterie, » je sépare mes trains, et par le feu à volonté, qui rend chaque chef de pièce maître de son personnel, je leur envoie de nos nouvelles et les décide à rebrousser chemin.

L’officier d’état-major opine que je n’aurais pas dû tirer, et. le général pense que si. Ses raisons sont qu’il faut montrer aux fantassins la manière des artilleurs, et que, dans ces longues