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crête lointaine, un état-major de brigade, des renseignemens défavorables arrivent. Il y a deux bataillons à droite, dans les bois ; ils filtrent vers l’arrière dans l’intention évidente de nous déborder.

Je reconnais cette fois sur le flanc droit et sur l’arrière. La situation est pire encore qu’on n’aurait pu croire ; car voici des Blancs partout, dans les clairières ; ils arrivent à hauteur de nos réserves de bataillon. Je fais choix d’un emplacement, où quelques mètres de relief au-dessus de la région avoisinante me permettent de découvrir toute la lisière du bois. D’ici, nous les tiendrions, nous les enfermerions dans la souricière. Mais les miens, que j’appelle par un sous-officier, puis par un trompette, n’arrivent pas. Surpris par cette tentative de débordement, ils ont fait face à droite et tirent au plus vite pour parer au plus pressé.

Inquiétude, impatience : pourquoi ne m’obéit-on pas ? Je suis là tout seul où on ferait de si bonne besogne ; eux, que font-ils, que voient-ils ? Un quart d’heure se passe ainsi, l’infanterie ennemie continue à foisonner devant moi, quand enfin ils arrivent ; le lien élastique qui les rattache à moi les resserre, les rapproche et les voici, bien fidèlement, qui séparent les trains et basculent les caissons à l’endroit même que je leur avais assigné. Cette fois, nous sommes maîtres du terrain, et l’adversaire le sent, car aux coups de canon que je lui adresse, il s’arrête, hésitant, il n’ose se risquer à l’invraisemblance d’une marche déployée à six cents mètres de mon canon. Je cherche des yeux un arbitre pour faire constater la mainmise sur ce coin du champ de bataille. Il s’en présente un, d’une autorité plus haute et d’une compétence plus incontestée que je ne pouvais l’espérer : le général en chef.

La vue de son fanion tricolore, cravaté d’un ruban à trois couleurs, impressionne les soldats qui se raidissent et manœuvrent imperturbablement. La sentence qu’il rend les frappe davantage : « Pas un fantassin, dit-il, ne déboucherait vivant hors de ces bois. » Un officier d’ordonnance galope vers l’avant pour leur porter l’arrêt. Nous restons là à veiller, tandis que cette parole du maître produit son effet. Les Blancs disparaissent ; leur manœuvre, au lieu d’aboutir ici, se poursuit sous bois, se transporte plus loin. Les nôtres, que ce retard tire de peine, ont le temps d’évacuer leur terrain et d’aller eux-mêmes en