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de ne point vous mêler de notre guerre, il n’en est pas qui puisse vous être plus contraire... Il arrivera toujours que celui qui n’est pas votre ami sollicitera votre neutralité, et que celui qui est votre ami vous demandera de vous découvrir avec les armes. Et les Princes mal résolus, pour fuir les périls présens, suivent le plus souvent cette voie neutre, et le plus souvent ils se ruinent ; » toutes ces raisons, qui n’ont pas vieilli, portent surtout dans le cas de nations voisines, ayant des frontières communes, ou du moins des points de contact, quelque surface de friction. Les mêmes argumens peuvent paraître s’appliquer moins bien au cas spécial des États-Unis, séparés de l’Europe par toute l’étendue de l’Océan. Mais cette guerre elle-même a prouvé que l’Océan les en sépare beaucoup moins qu’on ne l’aurait cru. Moralement, il faut ajouter qu’autant l’impartialité absolue, portée jusqu’à l’indifférence, de la neutralité quand même, eût pu pourtant s’expliquer chez des réalistes comme les grands Italiens, qui n’ont été et n’ont voulu être que des politiques, pour qui la politique n’a été qu’une géométrie, autant cette attitude est singulière chez un homme qui, non seulement ne dissimule pas, mais aime à montrer un peu des scrupules juridiques et des préoccupations religieuses. Mais il y a dans l’interview de M. Woodrow Wilson quelque chose de plus surprenant encore que la première partie, et c’est la seconde. Là, ce modèle de maîtrise et de possession de soi, qui juge de haut les nations, amasse les images de violence ; seulement, il se trouve que les trois paraboles de M. Wilson tombent toutes du même côté. L’homme qu’il a dû « coucher à terre, » l’homme « sur le cou » duquel il a conseillé de « s’asseoir, » le petit garçon dont il se pique d’avoir « impressionné l’épiderme, » ces deux hommes et ce petit garçon ne peuvent être qu’un seul et même homme, l’Empereur allemand. Ainsi les verges mêmes du « professeur Wilson » ne sont pas neutres. Mais alors, que voilà une neutralité fragile, et un étrange état d’esprit chez un peace-maker !

Car nous ne nous étions pas mépris en avançant que la phrase capitale de la pseudo-réponse allemande du 4 mai était la phrase sur la paix. C’était le coup destiné à M. Wilson, par enveloppement et liement. Peut-être, plus ou moins, a-t-il été touché. Le fait est que, non content de son interview, il a prononcé une harangue, sibylline autant que biblique, qui ne nous est parvenue que par fragmens, et qui, sans doute pour cette cause, n’est pas très clairement intelligible. Mais l’intention en est assez transparente. « Beaucoup aimeraient à penser, a dit M. Woodrow Wilson, que le sens de la commémoration