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REVUE LITTÉRAIRE

UNE ÉTUDE SUR LA FONTAINE[1]

M. Gustave Michaut a publié pendant la guerre le second tome d’un La Fontaine qu’il ne destinait pas à une telle époque. Et ce n’est pas à dire que cet ouvrage inattendu soit inopportun ; bien au contraire ! Non que je voie ou désire voir, entre La Fontaine et la guerre, aucun rapport, certes, et nulle analogie. Si jamais poète fut l’ornement d’un pays tranquille et qui profite de sa sécurité, c’est le poète des Contes et des Fables. Il a célébré la paix, « sœur du doux repos ; » et il a détesté, quand il y songea, peu souvent, le « noir démon des combats. » La paix et la guerre lui semblent affaires de rois, et qui ont pour les peuples diverses conséquences, mais qui n’ont pas leurs conséquences à Paris. Que le Roi déchaîne ou enchaîne Bellone, cela ne change pas beaucoup les journées de La Fontaine. « Louis consent qu’elle nous quitte : » et la paix de Nimègue est, pour La Fontaine, l’occasion de chanter, après les victoires de Louis, sa clémence. La politique du Roi, fidèle au principe déjà formulé par Marillac sous le règne de Henri II, « tenait sous-main les affaires d’Allemagne en la plus grande difficulté qu’il se pouvait. » Le désordre des Allemagnes garantissait le salut de l’Europe ; et la France n’était pas menacée.

Il n’en va plus de même ; et, depuis que l’Europe a laissé la race de proie organiser ses coups de brigandage, Bellone est souveraine. Ainsi, les poètes des temps heureux et confians nous étonnent et risqueraient de nous devenir un peu étrangers, un peu indifférens à force d’étrangeté, si un autre sentiment ne nous ramenait à eux. Lisez La Fontaine et je crois que vous l’aimerez plus que jadis encore. C’est que nous, qui avons vécu et peut-être vivons dans une France menacée, nous nous sommes épris davantage et du sol disputé

  1. La Fontaine, par G. Michaut, deux volumes, chez Hachette.