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et brillante. Simon Rodriguez, le plus pompeux et le moins sûr des compagnons d’Ignace, l’avait fait nommer par ce dernier Recteur du collège de Sainte-Foi, et munir par le Roi de pleins pouvoirs pour jeter aux fers et expédier à Lisbonne ceux qui lui sembleraient mal édifians. La raison en était sans doute dans la conduite de François toujours absent de Goa. On lui envoyait un suppléant. Gomez arrivait, frais émoulu du séminaire, et faisant sonner haut ses nobles relations et ses puissans protecteurs.

Le collège de Sainte-Foi, bien bâti, possédait une grande église et de spacieux terrains. Mais ses fondateurs n’avaient aucune expérience pédagogique. Ils y avaient fourré des Hindous, des Malais, des Cafres, des Ethiopiens, des Cinghalais, des Chinois, des êtres bizarres dont on ne connaissait pas le lieu d’origine, des princes, des fils de pêcheurs, des enfans achetés pour deux francs à Baçaïm, les uns en bas âge, les autres déjà moustachus et probablement mariés. Aucun spectacle de Goa ne passait en pittoresque ce jardin d’acclimatation de l’Eglise goanaise. Vous apercevez d’ici les fiers élèves de l’Université de Coïmbre transplantés dans cette école primaire de Babel. L’un servait de portier ; et feu Diogo de Borba, quand il le voyait armé d’un bâton au seuil de sa loge, croyait voir l’Ange chargé de garder, l’épée à la main, l’entrée du Paradis terrestre ; l’autre apprenait la grammaire latine aux plus intelligens de ces cacatoès, à ceux dont Diogo disait « qu’ils montraient déjà un talent distingué. » Quand on a rêvé, du fond de son Académie de Coïmbre, la gloire de combattre une armée d’infidèles et de prêcher la loi du Christ, comme le Père maître François, devant des centaines de Brahmes ; quand on a, comme saint Paul et comme Ignace, ceint ses reins de vérité, revêtu la cuirasse de la justice, chaussé le zèle de l’Evangile, saisi le bouclier de la foi, le casque du salut et l’épée de l’Esprit, il est dur d’aboutir à une loge de concierge ou à une petite classe d’échantillons humains dépareillés. Lancilotti avait fait contre fortune bon cœur ; et l’humble et charmant Micer Paul de Camerino, une de ces âmes exquises dont le monde ne devine le parfum qu’en les foulant aux pieds, vaquait du matin au soir à tous les soins de l’administration. « Sa sollicitude suffirait à éloigner les démons ! » s’écriait Diogo : elle suffisait du moins à empêcher le coulage.

Après y avoir installé les nouveaux Jésuites, François partit