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pour la côte de la Pêcherie. Quand il revint à Goa, deux mois après, en novembre, il n’était bruit dans toute la ville que de l’éloquence de Gomez. On s’écrasait à ses sermons. Et l’éloquent Recteur lui exposa doctoralement ses projets : fondation d’un petit séminaire ou école préparatoire à Cochin par exemple, et transformation du collège de Sainte-Foi en un grand séminaire, en une sorte d’université de philosophie et de théologie, en un Coïmbre hindou. Il fallait en finir avec ce caravansérail où ne régnait aucune discipline et où les élèves étaient recrutés en dépit du sens commun. Nous avons une lettre de Gomez où il raconte à Simon Rodriguez la satisfaction profonde avec laquelle François l’écouta : « Je lui ai expliqué que le nerf et la force de la Compagnie, selon la pensée du Père Ignace et selon la vôtre, sont dans les collèges créés pour développer la piété et les lettres. » Que cela est bien dit ! Mais comme Antonio a manqué sa vocation ! Il était né pour professser les belles-lettres dans une petite ville et pour y prêcher le Carême. François l’écoute, moins encore que Gomez ne s’écoute lui-même, et François le juge. Gomez prend pour des marques d’assentiment flatteur le silence et la réserve de l’apôtre. Il est le seul des missionnaires que la présence de François n’intimide pas ou n’exalte pas. Devant cet homme déjà revêtu de sainteté, il ne sent aucune confusion de sa faiblesse, aucun sentiment d’émulation. Je ne serais pas surpris que François lui eût paru un peu surfait.

D’ailleurs, tout n’était pas mauvais dans ses idées ; et l’on ne pouvait rien objecter à sa critique du collège de Sainte-Foi. Mais le moins qu’on pût dire des bouleversemens qu’il préméditait, c’est qu’ils étaient prématurés et qu’ils attestaient chez lui, en même temps qu’une ignorance complète et naturelle de l’Inde, une extraordinaire suffisance. Sa lettre à Simon Rodriguez sent d’une lieue le pédant. François lui exposa-t-il à son tour son opinion telle qu’il la donnait un peu plus tard à Ignace : que la chrétienté ne subsisterait dans l’Inde qu’autant que les prêtres d’Europe y demeureraient et y vivraient, et qu’il fallait renoncer à l’espoir de voir la Compagnie s’y perpétuer par les Hindous ? On a tout lieu de croire qu’il se contenta de lui recommander la prudence et la modération, soit qu’il comptât sur l’expérience pour l’assagir ou qu’il craignît de ne pouvoir persuader un avocat si disert. Il était venu à Goa se