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constance dignement soutenue, quoi qu’il en coûte, est moins brillante que les attitudes déclamatoires imaginées par certains littérateurs de l’arrière, mais elle est de meilleur aloi. Elle sera la cause principale du succès indiscuté, qui nous paiera d’avoir su attendre.

Attendre ! Il a fallu du temps pour que nous traduisions ainsi la phrase « je les grignote » attribuée au général en chef. Pendant de longs mois, on la comprit à contresens. D’Arras aux Vosges, ce fut une série de secousses fébriles, de pesées individuelles où l’ardeur guerrière s’exerçait trop souvent avec plus de force que de bonheur. Beaucoup d’entre nous, plus étourdis que les émigrés en 1815, inattentifs aux leçons de l’expérience, n’avaient rien appris et tout oublié. Ces petites offensives, sans coordination et sans but précis, entretenaient sans doute l’esprit guerrier, mais au prix de lourdes pertes. On espérait totaliser de petits gains répétés et obtenir en détaille résultat qu’on ne voulait pas demander en bloc à une opération de grand style, parce qu’il semblait alors trop incertain et trop coûteux. Malgré la faiblesse des moyens d’action, la vaillance des combattans, stimulée par la foi dans la victoire que préparaient ces luttes locales, faisait merveille. On progressait ainsi par à-coups jusqu’à la réaction brutale de l’adversaire qui parfois reprenait en quelques heures, grâce à son artillerie supérieure et aux armes déloyales qu’il y ajoutait, le terrain gagné par nous en plusieurs mois d’efforts. Les théâtres de ces agitations stériles et sanglantes, nous savons tous où les placer. Les deux partis virent s’affaiblir les effectifs de leurs meilleures troupes sans que la ligne de démarcation, cristallisée après la bataille de la Marne, en fût sensiblement modifiée. Les nôtres y accomplirent de beaux exploits, dont le récit officiel réconforta les pessimistes et calma les impatiens. Mais il n’était pas besoin de quelques pages ajoutées au recueil imposant des épisodes glorieux de notre histoire militaire pour savoir que l’enjeu de la guerre ne se gagnerait pas à coups d’actions de détail.

En effet, l’adversaire profitait tôt ou tard de l’avance que lui assurait sa préparation du temps de paix. Il pouvait Concentrer sur le secteur menacé les 36 obusiers de 105, les 16 obusiers de 150 dont il était doté par corps d’armée ; il pouvait y ajouter une copieuse artillerie d’armée où les 210 faisaient