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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/530

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C’est cette solidité qui nous prépare en Espagne une aide sans proportions avec la puissance matérielle de l’Espagne.

Une nation modernisée par la culture intensive de la richesse et du scepticisme serait par avance affaiblie dans sa lutte contre l’hégémonie allemande. Où dominerait le culte de l’intérêt, il deviendrait tentateur. Si on trouvait son compte à se départir de l’intransigeance, si de grands avantages étaient offerts à l’industrie et au commerce en échange d’une résignation aux volontés étrangères, cette nation saurait-elle sacrifier ce qu’elle aurait appris à tenir pour l’essentiel de sa vie ? Préférera-t-elle à sa propre cause la cause commune des peuples, aux calculs de son égoïsme immédiat la liberté générale et l’avenir du monde, aux réalités tangibles les vains mots de désintéressement et d’honneur ? Et si, en elle, une générosité instinctive et illogique s’élevait d’abord contre ces calculs, saurait-elle persévérer ? Qui se trouvera pour soutenir longtemps cette constance ? où l’aurait-il apprise ? sur quoi s’appuierait-il ? quelle opinion le suivra ?

Dans la lutte désormais engagée pour la servitude ou pour l’indépendance de l’univers, lutte grave, dont nul ne peut prévoir ni la longueur, ni les formes, ni les épreuves, si l’Espagne est pour nous une alliée précieuse, c’est que l’Espagne a toujours dans son histoire subordonné ses intérêts immédiats à ses intérêts à terme, son profit à son honneur, c’est qu’elle a considéré que la vie n’était pas un marché, mais un devoir, c’est qu’elle a toujours tenu certains principes comme au-dessus de son choix, de son avantage et de son existence même. Il suffira que les prétentions de l’Allemagne apparaissent à la conscience espagnole comme un attentat à l’ordre du monde, à l’indépendance naturelle des hommes et au patrimoine des races : pour cette conscience tout sera décidé, quoi qu’il doive advenir, et à jamais. L’ambition n’est pas la maîtresse de la race qui a sacrifié sa grandeur à sa croyance. Les épreuves ni le temps ne doivent lasser la race qui a supporté huit siècles de combats, d’insécurité et de misères pour redevenir maîtresse chez elle. La puissance de l’adversaire n’est pas pour troubler la race qui s’est mesurée seule à Napoléon, un univers.

A une lutte de principes nulle nation n’est plus prête que cette obstinée servante des principes. Nulle n’aura plus d’autorité sur toutes les autres par la puissance qui est l’autorité