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concentration, des « amicales », dont les membres se rendent des services de tout genre, d’argent en particulier. Quand un mois de traitement parvient, on ne le garde pas pour soi seul. L’une de ces amicales, à Friedrichsfeld, s’est donné ce nom douloureux : l’Exil. » Les instituteurs transportent aussi au camp une autre habitude, celle des « conférences pédagogiques, » et on en voit à Müncheberg qui dissertent sur la meilleure façon d’enseigner l’analyse logique. Ailleurs, on traite de problèmes qui passionnent l’instituteur en France, comme « du meilleur moyen d’assurer la fréquentation scolaire. » Mais il y a quelque chose de mieux que de causer métier entre soi, c’est de faire ce métier. Il y a des illettrés dans le camp. On remédie à l’absence de livres en constituant avec des feuilles détachées une méthode complète de lecture, et on apprend à lire aux camarades. A ceux-là du moins la captivité aura servi à quelque chose. Puis comment ne pas profiter du voisinage d’étrangers pour apprendre les langues étrangères ? Il y a des répugnances à l’égard de l’allemand. JMais beaucoup de nos prisonniers reviendront parlant l’anglais, et beaucoup même parleront le russe, qui était peu parlé en France avant la guerre. Le camp de Gustrow, en particulier, est, semble-t-il, une véritable école de langues étrangères. On aurait perdu quelque chose du tempérament national, si on ne se préparait pas à des examens ; on se prépare donc au brevet et même aux postes et télégraphes ; et ce travail de préparation, dans ces conditions, n’est-il pas un témoignage de bonne santé morale ? A Erfurt, il y a même des cours de latin, de sciences appliquées, de droit. Enfin, on fait ce qu’en France on appelle des cours d’adultes ; on fait des conférences sur des sujets variés. On permet par-là à un plus grand nombre d’auditeurs de participer à cette vie intellectuelle qui hausse la pensée au-dessus de misères trop réelles, et sauve par-là de la démoralisation.

C’est à Zossen, près de Berlin, que semble fonctionner l’organisation la plus complète ; c’est du moins celle sur laquelle nous avons le plus de renseignemens. On a fait circuler, de « gourbi en gourbi, » des listes pour se découvrir les uns les autres. On s’est trouvé 109, dont un professeur de Sorbonne, un professeur de lycée, un inspecteur primaire. Les maîtres trouvés, on recruta les élèves. Il s’en présenta 350. Des Belges demandèrent ensuite à être inscrits ; et quelques Russes sollicitèrent des leçons de