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dont certains autres redressent l’effigie d’Odin. Cette crise passera, j’en ai confiance ; elle aura son terme, au jour où l’orgueil germanique aura connu les humiliations décisives.


VII

Que, par égard pour les susceptibilités nationalistes, les catholiques d’Allemagne songent à changer l’adresse de leurs prières et à rompre avec certaines habitudes de piété, c’est un fait qui déjà, mérite surprise. Mais là ne s’arrêtent point leurs concessions : lorsque des verdicts d’ordre moral doivent être portés, la conscience catholique allemande vacille et dévie. Elle souscrivit au début de la guerre le manifeste des quatre-vingt-treize intellectuels : on vit parader parmi eux quelques théologiens catholiques estimés jusque-là. Elle adhère, aujourd’hui, avec une allègre désinvolture, aux paradoxes qu’ont inventes, pour justifier la violation de la Belgique, les docteurs politiques de Berlin. M. le professeur Ebers, juriste catholique de Munster, ose écrire : « La France a abaissé la Belgique jusqu’à en faire l’instrument de sa politique de revanche, l’Angleterre a abaissé la Belgique jusqu’à en faire sa contrescarpe. L’Allemagne n’a fait aucun usage du droit qu’elle avait de marcher contre la Belgique parjure ; elle lui a tendu la main pour sauver son autonomie et son indépendance. La Belgique a repoussé cette main, elle n’a qu’à en subir les conséquences[1]. » De telles formules consacrent cette hypocrisie en vertu de laquelle l’Allemagne, opprimant un peuple, lui signifie qu’elle le libère, et prétend lui tendre la main même dont elle le frappe. Que les catholiques de Prusse se reportent à trente-cinq ans en arrière, la presse bismarckienne qui voulait alors sceller leur oppression tenait exactement le même genre de propos. « Nous vous tendons la main, leur disait-elle, nous voulons vous libérer de Rome. » C’est parce que leurs prêtres repoussèrent alors cette main, qu’ils subirent la prison, la déposition, l’exil. Et voilà qu’aujourd’hui leurs professeurs sont complices dans cette comédie, tragique s’il en fut, que l’Allemagne déroule en Belgique : à leur tour ils cisèlent l’argument à la faveur duquel l’oppression se présente comme une libération.

  1. Pfeilschifter, Deutsche Lultur, p. 116..