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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/77

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chose. Je vais y réunir, par des renforts, 50000 hommes. Cette pensée calmera les nerfs des uns et la scélératesse des autres, je l’espère du moins. S’il faut nous battre, nous nous battrons. Du reste, chaque jour résout une difficulté. Il faut donc avoir patience et nous franchirons, je l’espère, tous les mauvais passages de la route.

Parlons de Londres et de la Conférence. Le Cabinet anglais remué par vous s’est manifesté à Versailles assez vivement. Remerciez-le de ma part. Mais son insistance ne reposant pas sur une résolution d’agir au besoin, a agité M. de Bismarck et l’a rendu plus irritable qu’il n’était. La cause de son agitation ne pouvait être ignorée de nous, car chaque fois il laissait échapper quelques mauvais propos contre l’Angleterre. Il n’en faut pas moins remercier le Cabinet britannique.

Quant à la Conférence, j’en ai causé avec lord Lyons et je ne crois pas qu’il soit utile de faire quelque chose de précis. Une démarche sérieuse ferait croire que nous voulons en appeler du traité et suspendrait peut-être, et certainement ralentirait l’évacuation qui est notre grand intérêt auquel nous avons tout sacrifié. Ce n’est donc pas le cas d’une action positive. Mais on peut dire que l’Europe nous ayant abandonné est le vrai auteur du cruel traité que nous avons signé, traité aussi cruel pour elle que pour nous, car les milliards qui, de notre caisse, passeront dans la caisse prussienne, seront des forces ôtées à l’Europe et apportées au despotisme germanique qui se prépare. Quant à la balance à tenir entre les Anglais et la Russie, il faut plutôt la faire verser du côté anglais, mais d’un mouvement presque insensible à l’œil nu et de manière à pouvoir au besoin changer l’inclination.

Je suis levé depuis quatre heures du matin, et je vous quitte car j’expire de fatigue. A vous de cœur.

A. THIERS.

P.-S. — Je reçois, à l’instant, à une heure, votre intéressante lettre du 2, et quoique pressé de me rendre à l’Assemblée, je vous réponds en courant.

Notre rôle serait sot et ingrat si nous avions l’air de refuser le concours anglais. Il faut vous borner à répondre que nous serons certainement fort touchés d’un témoignage de sympathie