Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/814

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préférences, avait déjà désobéi bien des fois, manqué gravement à l’union de race, laissé pressentir son ingratitude. En 1913, en se livrant, malgré l’avertissement solennel du Tsar, à sa passion de vendetta, elle avait annoncé la rupture. Cette fois, elle l’a consommée. Ses plus fidèles amis, ceux qui avaient encore voulu excuser la « nuit perfide » du 17/30 juin 1913, ont dû se détourner d’elle. Le coup a été douloureux pour les slavophiles. Il rappelle la première désillusion que les précurseurs du slavisme avaient ressentie lorsque, au congrès de 1867, ils avaient dû s’apercevoir que la langue, la religion, les mœurs, les intérêts nationaux divisaient les Slaves, empêchaient de concevoir non seulement l’espérance d’une unité à peu près comparable à celle des peuples italiens et des peuples germaniques, mais l’espoir d’une simple fédération. L’irréparable rupture de la Bulgarie aura définitivement conduit à reconnaître que cette triste réalité, vaguement entrevue en 1867, gouvernait la politique balkanique. C’est pourquoi elle aura engendré peut-être plus de tristesse que de colère.

L’expérience pourrait bien avoir refroidi, chez les Russes, le sentiment de la fraternité slave. Elle n’a rien changé, pourtant, à leur haute estime ni à leurs sympathies pour les Tchèques, dont le sort futur les intéresse vivement. Elle a renforcé leur amitié pour les Serbes et leur détermination de rétablir la Serbie dans ses droits. Plus d’un slavophile, au nom du principe des nationalités, avait admis, jusqu’à la défection des Bulgares, la thèse des théoriciens et des politiques de Sofia quant à la Macédoine. Aujourd’hui, leur point de vue est retourné. Le président du plus important des comités slaves nous disait qu’il avait longtemps jugé que, selon l’ethnographie et le droit, la Macédoine devait appartenir aux Bulgares, mais que, maintenant, il pensait résolument qu’en vertu de l’histoire et de la justice de la guerre, elle devait faire retour aux Serbes. Enfin, la Pologne elle-même a bénéficié de cette révision générale des idées. A la faveur des événemens, bien des souvenirs irritans sont tombés. Un rapprochement s’est fait, précisément, sur le terrain commun de la lutte contre le germanisme. Il m’a été donné, par exemple, de voir l’accueil empressé que l’aristocratie moscovite réserve aux réfugiés polonais. C’est par milliers que les Polonais du royaume sont venus chercher un asile à Moscou, où le consul général de France à Varsovie les a