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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/868

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délégué de la Commune somma le proviseur de livrer les armes qu’il tenait cachées. On fit une perquisition minutieuse, et l’on ne trouva rien. Les bataillons de la Garde nationale qui ne voulaient pas servir l’émeute s’étaient dispersés : les hommes et les fusils avaient disparu. La Commune prétendait les retrouver. Elle avait décrété la « levée en masse, » et tous les hommes de dix-sept à cinquante ans devaient par force prendre part à la guerre civile. Un fédéré ivre vociférait dans la figure du proviseur et des professeurs : « Je vous tiens pour responsables ! »

M. Girard savait fort bien que, du lycée, les serviteurs, les maîtres, les élèves que leur âge exposait à la levée étaient partis, — et parmi eux son fils. Il sut rester calme, ferme, courtois. La perquisition se renouvela deux fois. Entre temps, aux portes du pacifique lycée, des factionnaires montaient la garde. Et ce n’étaient pas là des plaisanteries ! La chasse aux réfractaires se faisait dans le quartier. Ceux qui ne voulaient pas obéir assez vite étaient poussés à coups de baïonnette dans le dos. M. Girard l’a vu de ses yeux.

« Le gâchis augmente, dit Aubert, et se tourne en violences. La Commune, furieuse de ne pouvoir réussir dans ses attaques contre Versailles, essaie d’organiser à Paris une sorte de terreur. On a arrêté l’archevêque de Paris mardi dernier ; le matin, on arrêtait, rue de Sèvres, les PP. Olivaint et Caubert. Hier, c’est au curé de Saint-Sulpice qu’on s’en est pris ; il a été arrêté dans la sacristie. Notre curé de Saint-Séverin est aussi à la Conciergerie, ainsi que plusieurs chanoines. Des perquisitions ont été faites, aux Dominicains, sous mes fenêtres, chez les Jésuites de la rue des Postes et de la rue de Sèvres. Ce sont des gages que l’on cherche, et les personnes arrêtées doivent servir d’otages. » (7 avril.)

Au milieu d’avril, il reste deux cent cinquante élèves rue Saint-Jacques, presque tous externes. Le soir venu, « le lycée est triste, et ce vide est sinistre avec les bruits de fusillade et de canonnade. » — « Pourtant, dit M. Girard, nous faisons toujours la classe ! »

Aubert est resté seul des quatre professeurs de rhétorique. Il a réuni les deux divisions en une, et cela lui fait une quinzaine d’élèves. Il passe le meilleur de son temps avec son cher Girard, dont la sérénité souriante lui inspire une haute admiration.