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surtout la thèse hongroise. Nous relisions hier des notes, vieilles de vingt ans, où nous avons sur le vif consigné des conversations que nous eûmes, dans un temps où le sort de la Monarchie avait été présenté comme incertain, avec les personnages les plus considérables, parmi lesquels trois de ceux qui s’agitent le plus à Budapest en cet instant même : le comte Étienne Tisza, le comte Jules Andrassy, le comte Albert Apponyi. M. Étienne Tisza nous disait, comme son père, Koloman Tisza, nous l’avait dit, : « De droit historique, on ne saurait arguer, et qu’est-ce qu’un droit historique qui n’est pas, par la force, un droit vivant ? » Le comte Jules Andrassy, renfermé, taciturne, dont un de ses amis nous traçait ainsi le portrait en deux mots : « C’est un homme de qui il faut extraire les paroles une à une sans que ce soient toujours les meilleures choses ni les plus substantielles qui sortent les premières, » se bornait presque à approuver de la tête. Mais le comte Albert Apponyi, qui parle bien, parla longuement Et il conclut : « Pour les Roumains de Transylvanie, qui font un si grand bruit, je ne vois pas quels droits historiques ils réclameraient. La Transylvanie n’a jamais été un État roumain. Depuis la Diète de Klansenbourg qui a voté la réunion à la Hongrie, il n’y a même plus, à dire proprement, de Transylvanie. Il n’y a en Hongrie qu’une nation, la nation hongroise ; et si l’on vient m’objecter je ne sais quel droit de corporations, de collectivités, de nationalités au cœur de l’État hongrois, je n’écoute plus. » M. de Kallay, alors ministre impérial et royal des Finances, haut commissaire pour la Bosnie-Herzégovine, — Hongrois de naissance, Kallay de Nagy Kallo, — et le baron Banffy, alors président du Conseil hongrois, avaient été encore plus tranchans : « Le mouvement roumain en Transylvanie ? Des bavardages d’étudians, d’avocats et de professeurs ! » s’écriait l’un. Et l’autre renchérissait : « Vous dites : Les Roumains de Transylvanie ? Pardon ! Il n’y a pas de Roumains de Transylvanie. Ou, s’il y en a, ils ne sont pas groupés, mais disséminés, mêlés à des Saxons, à des Sekkles, à des Arméniens. Quel droit auraient-ils que toutes les populations non magyares n’auraient pas ? » Point de titre : le baron Banffy le savait peut-être, lui qui était issu d’une ancienne famille de Transylvanie ! Mais Banffy, Kallay, Andrassy, Apponyi ou les deux Tisza, en chœur, jamais on n’a dit plus nettement, ni plus définitivement : « Jamais ! » à une nationalité qui aspire à être une nation.

Ces propos ne sont pas des propos de circonstance : ils n’ont pas été, en 1896, tenus peur 1916. Leur unanimité en fait comme un corps de doctrine dont l’Autriche-Hongrie, et l’Allemagne qui la soutient, de