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avait failli succomber. Les sultans malais avaient essayé de prendre leur revanche. François n’en fut point étonné, car il avait eu la vision de ces maux, et il ne fut pas plus surpris qu’un navire en partance pour Cochin eût été retardé jusqu’à son arrivée, car il l’avait prédit à ses compagnons du Santa Croce. Malaca en deuil le reçut avec allégresse. On remercia Dieu en grande procession. Le Père Ferez continuait son apostolat dans cette ville sans beaucoup de succès ; mais il y avait gagné l’estime de tous. La joie de le revoir que ressentit François fut probablement gâtée par la présence de deux missionnaires qu’il avait envoyés aux Moluques et que le Père de Beira en avait congédiés. Après les païens qui avaient trompé son espoir, il retrouvait des chrétiens qui avaient trahi sa confiance.

Ce fut pire dans l’Inde, où il arriva en janvier 1552. Là commença pour lui l’épreuve la plus blessante de toute sa vie d’apôtre. Une première fois, en allant au Japon, le Diable lui était apparu sous l’enveloppe d’une idole chinoise. J’exagérerais à peine si je disais que Satan lui apparut une seconde fois, mais pour ne plus le lâcher, dans les actes, la personne et le souvenir d’Antonio Gomez. Le bruit de sa mort avait déjà couru une ou deux fois, et Gomez s’était posé et avait agi comme si François n’eût jamais dû revenir du Japon. A Cochin, il avait suscité et exaspéré contre la Compagnie de Jésus les autres Ordres et le clergé séculier. A Goa, il s’était compromis dans l’affaire du roi de Tanor, qui s’était fait enlever comme une belle princesse sous prétexte de recevoir le baptême et qui, après s’être gobergé aux frais des Goanais, était retourné à ses idoles. Il n’avait point respecté la division du pouvoir établie par François. Ses réformes inconsidérées avaient failli ruiner le collège de Sainte-Foi. Cependant il gardait des amis et des admirateurs ; ses prédications continuaient d’attirer la foule et de charmer l’Evêque. Pour tout dire, nous connaissons très mal l’histoire de ses erreurs. Ce que nous en savons ne semble pas justifier le châtiment que lui infligea son chef : relégation à Diu, tout au Nord ; puis exclusion de la Compagnie. Le malheureux ne s’expliqua jamais sur sa conduite, car, en 1553, il périt avec le bateau qui le ramenait. Sans doute, il avait pris de très haut les réprimandes de l’apôtre. Pour la première fois, François avait rencontré chez un de ses subordonnés l’irrespect, l’insolence, peut-être le sarcasme, en tout cas un terrible orgueil soulevé