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l’organisation, toute militaire, des Vereins ou « sociétés » d’étudians allemands, comme aussi dans les méthodes pédagogiques des divers professeurs d’outre-Rhin. « L’enseignement distribué dans les collèges et universités fait la part très petite à la personnalité des élèves. C’est un enseignement où le maître se charge seul de tout donner : l’élève reçoit les sujets dont il doit s’occuper, les procédés qu’il doit y employer, et l’indication impérieuse des moindres détails du chemin qu’il doit suivre. » Puis venait, dans le susdit article de 1891, un tableau des conséquences fâcheuses résultant, au point de vue intellectuel, d’un tel manque foncier d’ « autonomie » intérieure. Et l’auteur de l’article continuait ainsi :


Au point de vue moral, d’autre part, il semble que le défaut de volonté et l’esprit de soumission aient été longtemps précieux pour l’Allemagne. L’inertie de la nature allemande l’a rendue tenace, et, sous l’influence des faits extérieurs, l’a portée à maintenir, durant des siècles, ses anciennes habitudes morales. Très longtemps les Allemands ont subi, suivant l’expression de Mme de Staël, « l’honorable nécessité de la justice. » Mais, malheureusement, ce bel état de choses était l’effet d’une habitude, et non d’un libre consentement réfléchi. Les Allemands restaient loyaux, sincères, faciles à contenter ; mais ils ne l’étaient que sous le poids des circonstances qui les avaient entretenus dans la pratique de ces qualités. Le ressort moral intérieur, cette conscience autonome qui permet l’idée du mal et en empêche la réalisation, c’est un élément qui ne se trouve point, par nature, au fond de l’âme allemande... Et voici que, depuis vingt ans, un bouleversement radical s’est accompli dans les âmes d’outre-Rhin, détruisant à jamais ces habitudes morales que les siècles, jusque là, n’avaient pu altérer !...

Rien de saisissant comme la rapidité de cette démoralisation, se propageant à tous les degrés de la société allemande, et y procédant de la même façon « épidémique » que la conversion au socialisme des ouvriers d’une usine. Les choses inertes ne se meuvent pas d’elles-mêmes, mais, une fois en mouvement, elles ne s’arrêtent plus. Chaque jour, un pan de l’ancienne probité allemande se détache et tombe, pour être aussitôt remplacé par des sentimens, des idées, des manières d’agir tout contraires. Le même manque d’initiative, qui avait si longtemps sauvegardé les traditions morales de jadis, contribue aujourd’hui à l’effrayante vitesse de leur déchéance !


L’existence, au fond de toute âme allemande, de ce fort élément naturel de « docilité » m’avait été d’ailleurs, je m’en souviens, révélée pour la première fois bien avant même la date lointaine de cet article d’il y a vingt-cinq ans. C’était vers 1886, un certain après-midi de dimanche, au moment de la fermeture « dominicale » du musée de Berlin (d’où l’on avait coutume, ce jour-là, de chasser le public de