Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’insolente mainmise des Allemands qui, pour l’éthique comme pour l’esthétique, sont bien les moins hellènes des hommes. Trop de cœurs saignaient encore ; cette terre de Macédoine recouvrait les cadavres non seulement de trop de soldats tombés pour l’indépendance, mais de trop de victimes, femmes, filles, vieillards, enfans, martyrs de la férocité bulgare. A voir les bourreaux redescendre de la haute vallée de la Strouma, se glisser de Roupel vers Sérès, Drama, Cavalla, et, grâce à des complaisances criminelles, s’installer dans des forts construits pour les arrêter, la fibre patriotique s’est réveillée, l’honneur militaire s’est ressaisi. Un comité national s’est formé, qui n’avait de révolutionnaire que de suppléer dans son devoir le plus sacré, la défense du pays, le gouvernement défaillant. Des officiers, engourdis par les philtres que leur versaient les chefs, plus Allemands que Grecs, de leur état-major, un Dousmanis, un Metaxas, ont voulu s’y opposer, et l’on s’est, deux ou trois heures, quelque peu battu à la porte des casernes de Salonique. Mais la résistance a bientôt cessé, et l’excellence du motif, aux yeux même les plus prévenus ou les plus fermés, a justifié le pronunciamiento, qui ne se proposait d’autre but que de ne pas livrer à l’ennemi le sol de la patrie. Un colonel, déjà fameux par ses exploits, le colonel Christodoulos, a enlevé son régiment, ramassé tout ce qu’il a trouvé d’hommes, et s’est présenté devant Cavalla, dont il s’est fait restituer deux des forts, tandis que l’escadre anglo-française apprêtait ses obus pour faire évacuer le reste.

Dans le moment même où des régimens grecs, à Sérès et à Salonique, ne pouvaient réprimer leur colère ou leur dégoût, les Alliés, par une démarche énergique quoique tardive, obtenaient à Athènes le renvoi du général Dousmanis et du colonel Metaxas. Mais ce n’était pas assez : les mauvaises pratiques survivaient aux mauvais bergers. Tout à coup trente vaisseaux anglais et français se sont montrés devant le Pirée et, en un ordre magnifique, sont allés se ranger dans la rade de Salamine. L’appareil était imposant et donnait beaucoup de force à la note qu’étaient chargés de présenter les diplomates. Cette note exigeait, sous trois paragraphes, et pour le dire en un seul mot, que le gouvernement grec, secouant le joug germanique, redevînt grec et redevint un gouvernement. Les télégraphes seraient remis aux Alliés, les corrupteurs étrangers expulsés, les espions mis hors d’état de nuire. M. Zaïmis a tout accepté. Là-dessus, les Allemands, gens délicats, tempêtent. L’Entente prend la Grèce à la gorge, se rit de sa souveraineté, supprime sa liberté même ! La situation est pourtant