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achevées, dont les divers temps se succèdent avec des alternatives de bon et de mauvais, et où ce qui se passe ici compense, efface, annule ce qui s’est passé là, on ne sait jamais bien pour qui les cloches sonnent.

Il reste acquis, les Allemands ont le droit d’en prendre acte, que, sur deux ou trois points de la frontière de Transylvanie, vers Hermannstadt et vers Petroseny, l’offensive roumaine a été provisoirement enrayée. Au premier choc, la corne Sud-Est de la Transylvanie magyarisée, le coin par lequel la Hongrie entrait, pour ainsi parler, dans la chair roumaine, étaient tombés ; le rêve séculaire, la réunion des frères séparés, se réalisait. Falkenhayn s’est jeté au travers. Il a successivement accroché les colonnes roumaines dispersées, en train d’exécuter un mouvement analogue à celui d’un éventail qui se referme, mais dont les branches sont encore écartées. Le front roumain, désormais défensif dans cette partie, s’appuie au Danube, vers Orsovo, à son confluent avec la Cerna, dont il remonte le cours jusqu’à Mehedia ; escalade les crêtes des Alpes, qu’il suit, encadrant les passes, jusqu’au défilé de Prédéal, d’où l’on descend vers Brasso ; coupe les hautes vallées de l’Aluta et du Maros ; s’articule, plus ou moins solidement, vers Kelemen, à la gauche de l’armée russe de Letchitsky, que gênent des chutes de neige. Toute cette contrée est tourmentée, compliquée, embrouillée. Regairdons la carte. Autour de la double courbe que décrivent les Carpathes et les Alpes de Transylvanie, dans les deux boucles de l’S renversée que dessine la frontière roumaine, l’œil du profane aperçoit seulement, à cette heure, comme un enchaînement de menaces. Les Roumains, que renforcent les Russes, menacent du Nord-Est les derrières de l’armée de Falkenhayn, qui menace au Sud les derrières des Roumains, qui menacent au Sud-Ouest les derrières des Bulgares et le flanc gauche de l’armée de Mackensen, opérant sur la rive droite du Danube. Tout le front de Transylvanie et de Dobroudja serait donc ainsi comme emporté dans un vaste mouvement enveloppant, sans que l’on puisse savoir, du moins nous qui ne sommes pas des stratèges, qui des deux adversaires finira par envelopper l’autre.

De là (l’explication nous est commode) les fluctuations de la bataille. Quand l’Empereur a télégraphié à l’Impératrice la « victoire décisive » de Mackensen dans la Dobroudja, il le croyait vraiment victorieux, et il y a eu sans doute une minute où il l’a été, mais ce n’était que le troisième ouïe quatrième acte. Ayant enlevé Tourtoukaï et s’étant glissé dans Silestrie, enivré de ces exploits démesurément amplifiés, Mackensen avait assailli les Russo-Roumains, encore peu