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renvoyait, il s’en ferait un ennemi irréconciliable, irrité d’être disgracié et brûlant du désir de se venger. Il continue donc à porter sa chaîne, à se soumettre à toutes les décisions qu’il plait à Stamboulof de lui signifier et à se laisser docilement conduire à travers les innombrables difficultés que suscite dans tout le pays la politique dictatoriale.

Elles se multiplient, surgissent à l’improviste. Un jour, c’est le Saint-Synode qui, réuni à Solia, refuse de porter ses hommages au prince, qu’il accuse d’être hostile à la religion orthodoxe, acte de rébellion que Stamboulof punit en ordonnant l’arrestation des évêques et en les faisant reconduire dans leur diocèse. Un autre jour, c’est l’expulsion d’un journaliste français, ancien secrétaire de la chancellerie du prince Alexandre, devenu correspondant de l’agence Havas ; accusé à tort d’être l’auteur d’un article malveillant pour Ferdinand, publié par un journal de Paris, il est conduit à la frontière, malgré les protestations du consul de France. Le souverain ayant exigé cette mesure, Stamboulof s’est empressé de lui donner satisfaction en une circonstance où il peut céder sans qu’il en coûte rien à son orgueil. Si difficiles que soient encore les relations du gouvernement bulgare avec la Légation de France, l’événement les rend plus difficiles. On lit à ce propos dans un rapport confidentiel : « D’un caractère très vindicatif, Ferdinand poursuit de sa haine tous ceux, grands et petits, qui ne veulent pas faire acte de courtisan vis-à-vis de lui. Il a enjoint à Stamboulof d’expulser le publiciste qui ne le tient pas pour un homme de génie, et Stamboulof a obéi avec plus d’empressement qu’il n’en a manifesté en d’autres cas. » Mais il fait expier au prince cette concession en le livrant aux commentaires désobligeans de la presse et en laissant dire que « l’incommensurable vanité de Ferdinand, ses allures prétentieuses et hautaines, ont fait de lui un personnage ridicule. »

À cette époque, le pouvoir du dictateur s’exerce sans retenue. Un de ses collaborateurs lui résiste-t-il, il est brisé. Tel est le cas du ministre de la Justice Toutchef qui, se trouvant en désaccord avec Stamboulof sur une question de compétence judiciaire, est obligé de se retirer. Comme il est difficile de lui trouver un successeur, le président du Conseil bombarde ministre un fabricant d’essence de roses, malgré les objections du prince qui conteste la spécialité. Humilié par une nomination qu’il