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avait déconseillée, Ferdinand fait contre mauvaise fortune bon cœur. Le désaccord s’accentue entre le ministre et lui. Mais comme chacun d’eux a un journal à ses gages, ils laissent ces feuilles guerroyer. Des polémiques s’engagent. L’organe ministériel écrit : « Lorsque les étalons ruent, il ne faut pas que les ânes se mettent au milieu, car ils pourraient en souffrir. » Ferdinand prend l’offense pour lui ; il mande Stamboulof qui ne vient que sur un second appel et sa démission en poche. Il a compris que la patience du prince est à bout. Avec un imperturbable sang-froid, il laisse passer le flot des reproches qui lui sont adressés.

— Vos allures autoritaires, déclare le souverain, me rendent impossible l’exercice du pouvoir et intolérable le séjour de Sofia. J’en ai assez d’être tyrannisé.

— Je me retirerai si Votre Altesse le désire, réplique Stamboulof.

Le prince n’ose le prendre au mot et le laisse s’éloigner, réservant sa décision. Mais, une heure après, Je ministre d’Angleterre se présente au palais et fait entendre des conseils de patience et de sagesse. Stamboulof renversé, à qui le prince pourra-t-il confier la direction des affaires de l’Etat ?

Ferdinand se résigne de nouveau à courber la tête, et le même soir, il part pour Varna, laissant le champ libre au premier ministre. Peut-être est-ce à ce moment qu’en un entretien dont nous trouvons la trace dans nos documens sans pouvoir en préciser la date, il avoue à l’un de ses familiers qu’il n’est pas sur un lit de roses. L’Europe s’obstine à ne pas le reconnaître, et, impuissant à se délivrer de la tutelle qui pèse sur lui, il est réduit à jouer un rôle de roi fainéant, sous peine d’être ramené dans la réalité des choses par son maire du palais.

On se tromperait toutefois en interprétant cette plainte comme une preuve de découragement, ou comme le signe avant-coureur d’une démission que lui conseillerait son impopularité. Impopulaire, il l’est, et il ne l’ignore pas, et d’autres, moins tenaces que lui, jetteraient peut-être le manche après la cognée, lassés de l’inutilité de leur effort pour remonter le courant qui barre la route à leurs ambitions. Mais, même lorsque tant d’obstacles se dressent devant lui, même lorsque, à l’improviste, au moment de se rendre à un bal donné en son honneur au cercle militaire, il apprend que la fête a été