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contremandée par Stamboulof qui, redoutant une sédition des officiers de l’artillerie, désire qu’il ne sorte pas ce soir-là et le fait garder durant toute la nuit après avoir consigné dans leurs casernes les troupes de la garnison, même en des circonstances aussi critiques, il est convaincu que, dit-il un jour succomber victime d’un attentat révolutionnaire, il atteindra le but qu’il se proposait en acceptant la couronne de Bulgarie ; qu’au moins pour un temps, il jouira de la joie d’avoir pris sa place parmi les souverains d’Europe et d’être reconnu par eux comme leur égal. Quel que soit le caractère alarmant des mauvais jours qu’il traverse, l’enjeu de la partie qu’il joue est assez attrayant pour l’emplir de confiance, lui donner un semblant de courage et dominer les terreurs dont il est parfois obsédé.

Il faut dire aussi que, vaniteux et efféminé à l’excès, les formes extérieures de la royauté et les apparences du pouvoir, le luxe dont il s’est entouré, le cérémonial de cour qu’il a créé pour son usage et poussé jusqu’au raffinement sont un heureux contrepoids à ses inquiétudes, dont la gravité s’efface souvent sous l’excentricité de ses habitudes et la futilité de ses préoccupations. Son goût passionné pour les fleurs et pour les joyaux, pour les décorations et les brillans uniformes, ses démarches incessantes à Vienne pour se faire octroyer la Toison d’or, qu’il n’obtiendra qu’après avoir essuyé maints refus, les sébiles pleines de pierres précieuses qui s’espacent sur son bureau et dans lesquelles il aime, tout en causant, à tremper ses doigts chargés de bagues, sa manière de s’habiller, de parler, sa disposition naturelle à ne permettre à personne de lire dans sa pensée, autant de signes caractéristiques d’une nature en qui l’ambition est restée égoïste, personnelle, peu scrupuleuse, bien qu’effrénée dans ses manifestations. Tel que nous essayons de le décrire, tel il se montrera aux heures solennelles où il devra décider de son sort et de celui de son royaume.

On remarquera qu’au cours des événemens que nous venons de résumer il n’avait pas été question de lui. « On dirait qu’il ne règne pas, observait un témoin, et qu’il s’est désintéressé des affaires de sa principauté. » Il ne s’en désintéressait pas, mais il jugeait bon de laisser le champ libre à Stamboulof, plus habile que lui pour écraser la clique révolutionnaire. En 1892, il part dès le mois de mai, non pour se distraire, mais pour intéresser à sa situation quelques-unes des grandes Cours,