Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fameuse autant que funeste : « Pensons-y toujours, n’en parlons jamais. »

Le premier acte de l’Attaque du moulin représentait, ou plutôt annonçait la mobilisation générale. Une vieille paysanne, Marceline, espèce de pythonisse villageoise, lançait contre la guerre, tueuse autrefois de ses deux fils, des imprécations qui ne manquaient pas d’une farouche beauté. Le second acte, c’était l’invasion, le moulin occupé, le gendre du meunier pris comme otage. Cependant, au bord de la rivière, une sentinelle ennemie soupirait cette complainte :


Mon cœur expire et moi j’existe,
Mon pauvre cœur est toujours fatigué.
L’amour qui part le laisse triste,
L’amour qui vient ne le rend pas plus gai.
La joie est courte et le deuil est immense,
Je n’attends rien du douteux avenir ;
Ah ! que plutôt jamais rien ne commence,
Puisqu’un jour tout doit forcément finir.


Voilà le pessimisme sentimental qu’une poésie assez prudhommes que, accompagnée d’une musique très supérieure, prêtait alors aux soldats allemands.

Bientôt survenait Marceline, la vieille sibylle, et la vue du jeune factionnaire boche n’inspirait à cette mère, à cette mère française, et de deux fils morts pour la France, qu’admiration, tendresse et pitié :


Qu’il est fier, jeune et beau ! A sa robuste épaule
Son lourd fusil n’est qu’un léger roseau.
Il ressemble à mon Jean ! Et comme lui sans doute
Il se bat bien et va, qui sait ! pauvre étranger,
(Sans larmes je n’y puis songer ! )
Loin des siens tomber mort sur quelque route,
Dans quelque coin. Le triste sort, hélas !


Un dialogue ensuite s’engageait, tout plein de réciproque sympathie :


Soldat, de quel pays êtes-vous ?
— De là-bas,
De l’autre côté du grand fleuve.
— Vous avez encor votre mère ?
— Oui, veuve ;
Et très vieille, et très seule, au village. Ah ! c’est loin !
— La pauvre femme ! Dieu, si bon, en prenne soin !