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Après le souvenir de la mère, celui de la fiancée, naturellement :


— Il est aussi là-bas une fille aux mains blanches,
Blonde, avec de grands yeux bleus comme des pervenches,
Que j’aime bien, qui m’aime bien.
— La pauvre enfant ! Et pouvez-vous me dire
Pourquoi vous vous battez ?


Avec la réponse, on entrait dans la théorie pacifiste, humanitaire, ou du moins on avait comme une vague impression de la frôler au passage :


Pourquoi ? En sait-on rien !
Je ne sais pas pourquoi je suis venu,
Je sais que je voudrais retourner vers ma mère
Vers mon amie !…


Enfin le dernier mot, ou les derniers, restaient à Marceline. Et c’étaient ceux-ci :


Ah ! le cher inconnu,
Quelle joie il me donne et quelle peine amère !
Adieu, soldat, que Dieu te sauve de la guerre !


Encore une fois, il y avait quelque chose là, je veux dire dans cette musique, la plus mélodieuse peut-être, et la plus harmonieuse, en tout cas la plus touchante que modula jamais M. Alfred Bruneau. Et ce quelque chose assurément s’y trouverait encore. Pourtant, il faut aujourd’hui la proscrire et presque se reprocher de l’avoir autrefois accueillie. Désormais, nous ne pourrions plus l’entendre. Elle fut compagne, un peu complice, de pensées, de paroles trompeuses, funestes ouvrières d’erreur et de mensonge. « Que les temps sont changés ! » Que de choses a rajustées la réalité terrible ! Elle a déchiré tous les voiles. « Je ne sais pas pourquoi je suis venu, » soupirait alors un soldat allemand. Allons donc ! Ils le savent tous, ils ne le savent que trop, et c’est pourquoi chacun de nous serait parfois tenté de prier ainsi contre eux : « Mon Père, ne leur pardonnez pas, car ils savent ce qu’ils font. » Mais surtout, contre une mère comme celle qui nous fut présentée alors, contre sa compassion et sa complaisance, qui ne sont que faiblesse coupable, c’est à toutes les mères françaises que nous en appellerions aujourd’hui.

Aux soldats, jadis, aux soldats français, la poésie et la musique