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d’infanterie, et ils n’eurent plus d’autres grenades que celles, anodines et dorées, qui ornaient leurs buffleteries. Grenadiers sans grenades aussi, ceux de l’épopée impériale. Ce mot avait tout à fait perdu son sens et cette fonction son organe. — Il a fallu un de ces retours fréquens de l’histoire, — car la marche du progrès est sinusoïdale comme les méandres d’un fleuve, — pour rendre dans la grande guerre des peuples la grenade aux grenadiers.

A l’heure présente, les grenades employées de part et d’autre de la barricade peuvent se ramener à quelques types très simples, pesant quelques centaines de grammes, contenant quelques décigrammes d’explosif, — généralement de cheddite chez nous, — et qu’un grenadier exercé peut jeter jusqu’à une quarantaine de mètres avec beaucoup de justesse. De même qu’on a des obus percutans et fusans, on a des grenades percutantes et des grenades fusantes. Les premières sont faites de manière à éclater au moment où elles touchent le but, les fusantes de façon à n’éclater qu’un certain nombre de secondes après qu’on a mis le feu à une mèche lente, ce qu’on fait en déclenchant un percuteur au moment du lancement. Les unes et les autres ont leurs avantages comme les obus percutans et les fusans mais on a, avec raison, une tendance à préférer les grenades fusantes parce que celles-ci, même si elles ne tombent pas dans la tranchée, peuvent souvent y rouler ensuite et éclater en temps voulu, tandis que les grenades percutantes n’éclatent qu’au point de chute.

Chose curieuse : la plupart des grenades employées par nos ennemis et par nous-mêmes n’ont plus du tout la forme sphérique du fruit qui, à l’origine leur a donné son nom. Par leur forme généralement ovoïde, par leur surface notre et striée de rainures, qui assureront une fragmentation systématique, elles ne ressemblent plus guère au doux fruit africain dont on tire ce sirop cher aux petits enfans. Nos poilus appellent avec assez de pittoresque exactitude « grenades-citrons » ces engins ovoïdes : étranges fruits bâtards que n’avaient point catalogués les botanistes !

Quant aux grenades à fusil que les Boches lancent comme nous avec le fusil de guerre chargé à blanc et qui portent à plusieurs centaines de mètres, elles étaient employées déjà au XVIIIe siècle. On les lançait même alors parfois à la pelle. Aujourd’hui on se contente, si j’ose dire, de les fabriquer « à la