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revenus français ne rapporterait qu’une petite fraction de ce qu’elle rapporte appliquée aux revenus anglais.

D’ailleurs, en Angleterre même, quoique le recours prédominant à l’impôt direct pour charges de guerre soit conforme aux traditions nationales, l’abus de ce puritanisme financier n’est pas accepté sans critiques. On a demandé à l’impôt direct, en 1914-1915, 108 millions sterling (soit 57 pour 100 des recettes fiscales) ; en 1915-1916, 169 millions (soit 58 pour 100) ; on lui demande, en 1916-1917, 235 millions (soit 63 pour 100 du produit des impôts, l’excess profits duty exclu). C’est là, dit-on, une proportion inadmissible. Il est injuste et dangereux de tendre à ce point les ressorts de la taxation directe, de faire peser une pareille part de charges sur une classe restreinte, — un neuvième de la population, — laquelle fournit du reste son large contingent à l’impôt de consommation. C’est léser la justice fiscale, qui demande l’égalité des sacrifices, selon les capacités de chacun. C’est risquer de détruire, avec le goût et l’aptitude du citoyen à produire ou à économiser, la richesse même sur laquelle repose la taxation, et d’anéantir par l’impôt la matière imposable. On veut surtaxer pour contraindre le pays à épargner ? Mais ne sait-on pas qu’un lourd impôt direct est une arme à deux tranchans qui peut, selon le cas, stimuler le sens de l’épargne ou le détruire ? Cependant la masse de la population, quitte de l’impôt direct, touchée, mais légèrement, par l’impôt indirect, ne paie pas son dû à la taxation de guerre ; et comme d’ailleurs (sauf les efforts faits depuis peu) le salarié anglais, à la différence de ce qui se passe chez nous, ne s’intéresse guère aux emprunts faits par le Trésor, il en résulte que la majorité du pays, investie de la souveraineté politique, ne participe que d’une façon très relative et inadéquate à l’effort financier de l’Angleterre : et cela est mauvais.

Si l’Angleterre se sent assez forte, assez riche, pour se donner le luxe fiscal d’une telle prépondérance de la taxation directe, c’est que, plus saine, plus vigoureuse au point de vue économique, elle souffre probablement moins de ce régime que ne feraient les organismes sociaux à circulation plus lente, plus difficile, plus sclérosée. L’individu y est relativement plus producteur et moins épargnant que les Latins, par exemple, chez qui la proportion de l’épargne des capitaux à la production des capitaux est plus grande ; il gagne plus aisément, il a la vie