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La Turquie ayant disparu de la carte de l’Europe, la Bulgarie s’étant réduite d’elle-même à ronger les chairs pourries de sa félonie et de ses folles ambitions, une grande Roumanie et une grande Serbie seront les protecteurs indispensables de la paix dans la péninsule. Ces deux États servent aussi d’arches entre le monde slave et le monde latin. Ils barrent l’expansion allemande en Orient. Rôle doublement important auquel on dirait qu’une volonté supérieure les a destinés.

L’Allemagne étant ainsi reconstituée selon ses propres traditions, étant entourée d’États forts destinés à surveiller et à contenir ses instincts dominateurs, il reste à chercher quels seraient ses rapports permanens avec l’Europe.


VI. — L’EUROPE ORGANISEE

Avant d’aborder ce point destiné à devenir la clé de voûte d’un système européen harmonieux et libre, je demanderais que l’on eût présens à l’esprit à la fois tous les précédens : l’Empire « pacifique » du Moyen Age, la « République chrétienne » de Henri IV et de Sully, les « libertés germaniques » et l’article des « garanties » du traité de Westphalie, la « paix perpétuelle » de Leibnitz et de Kant, les « conversations » de Sainte-Hélène, la vue « prométhéique » des thaumaturges de 1848, les applications du « principe des nationalités, » telles qu’elles se sont produites dans la deuxième partie du XIXe siècle, les vœux exprimés par les deux conférences de La Haye de 1899 et de 1907 ; et les tentatives si nobles ayant pour objet, sur l’initiative de l’empereur Nicolas, de prévenir le cataclysme que l’Europe, par la volonté du militarisme prussien, a dû subir malgré tout.

Cet ensemble de vœux, de recherches, de tentatives, d’expériences, de demi-réalisations, d’ébauches interrompues, de bonnes volontés persévérantes, suffirait pour prouver que les peuples européens marchent, pour ainsi dire, comme d’instinct et malgré les difficultés de la route, vers un haut règlement de la vie internationale qui satisfera tout ensemble le sentiment et la raison : à savoir la constitution d’une famille européenne (et même mondiale) où les peuples s’uniront pour le libre développement de chacune de leurs existences nationales. Ce nouveau régime, — non imposé, mais délibéré, — consacrerait véritablement l’Europe du droit.