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L'ÉTERNEL CHAMP DE BATAILLE

III.[1]
LES BONNES GENS DE CHEZ NOUS

Je voudrais essayer de fixer, ici, les traits de quelques vieilles gens de mon pays natal, tâcher de retarder l’heure de l’oubli complet pour tout un petit monde disparu, qui, avant cette dernière guerre, dans notre Lorraine même, n’était déjà plus qu’un souvenir. Ceux qui s’en souviennent encore ont passé la cinquantaine : la plupart sont dispersés à travers la France, où, depuis deux ans, ils vivent en exilés ; les autres ont été emmenés en captivité par les Allemands. Si ces lignes parviennent jusqu’à eux, peut-être qu’il leur sera doux d’y retrouver quelques figures de connaissance et de se rappeler les temps lointains, où, en dépit de tous les revers et de toutes les mutilations, que nous n’avons jamais voulu croire définitives, notre pays se remettait à vivre et à espérer quand même. De leur côté, nos compatriotes de France, par un sentiment de pitié, et aussi, j’espère, de reconnaissance pour notre pauvre Lorraine, montreront sans doute quelque indulgence à l’égard de ces rêvenans du passé, ces paysans, ces petits bourgeois de la Meuse ou de la Moselle, personnages assez ordinaires, qui n’ont rien des héros de roman. Je voudrais les décrire tels

  1. Voyez la Revue du 15 août et du 1er septembre 1915.