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leurs foyers. Cette argumentation mensongère ne pouvait tromper les gouvernemens alliés : ils ne conservaient plus aucun doute sur le déploiement de machinations perfides que Ferdinand, depuis plusieurs semaines, s’efforçait de leur dissimuler. Au commencement du mois d’octobre, ils prenaient la résolution d’en finir. Dans la journée du 4, leurs représentans à Sofia présentaient à Radoslavof un ultimatum énumérant les satisfactions qu’ils avaient l’ordre d’exiger. Le lendemain, ces satisfactions n’étant pas accordées, ils demandaient leurs passeports et, quelques heures plus tard, les représentans de la Serbie et de la Belgique suivaient leur exemple.

En prenant l’initiative de la rupture, les Puissances de l’Entente dispensaient Ferdinand de chercher un prétexte pour la provoquer lui-même et sans doute le tiraient-elles d’embarras. Sa tâche était simplifiée et il pouvait dorénavant, sans contrainte et sans hypocrisie, remplir ses engagemens vis-à-vis de l’Allemagne. Mais alors que ses intentions n’étaient plus douteuses et que ses intrigues étaient percées à jour, mieux valait pour l’Entente couper les relations que de paraître se laisser duper par un homme dans lequel elle ne pouvait plus voir qu’un ennemi.

Le départ des représentans de l’Entente avait été fixé au 7 octobre, et toutes les mesures étaient prises pour que la courtoisie la plus correcte y présidât. Ce même jour, le ministre de France, M. de Panafîeu, était appelé au téléphone par le chef du cabinet du Roi, qui lui annonçait que le souverain ne voulait pas le laisser partir sans lui faire ses adieux, et le recevrait à titre privé, même en costume de voyage. Il y avait alors plus de deux ans que M. de Panafieu, comme d’ailleurs fous ses collègues du corps diplomatique, n’avait pas été reçu en audience particulière. L’appel était donc pour le surprendre, mais il ne crut pas devoir s’y dérober, alors surtout qu’il était prévenu que le ministre d’Angleterre recevait une invitation analogue.

Entre le Roi et le ministre de France, la conversation fut longue, et celui-ci, n’étant plus qu’un simple particulier, en profita pour dire à son royal interlocuteur tout ce qu’il pensait de la situation que lui et son gouvernement avaient créée. Il insista avec force sur la certitude du complet échec des plans de l’Allemagne, qui voulait asservir l’Europe, et sur la vraisemblance d’une longue guerre qui donnerait aux Puissances