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en Pologne, Charles... Devant ce peuple de croix, cette discipline qu’elles ont, cette amitié les unes pour les autres, comme on comprend le cri de cette mère : « S’ils étaient ici tous les quatre, comme nous serions heureux !... » Ici, c’est-à-dire ensemble, en famille, avec ceux qui ont fait le même rêve, comme les morts sur la colline de Wissembourg.Ici... On vient les voir, on vient leur parler, on vient les fleurir... Plus tard, de toutes les provinces de France, du Nord et du Midi, des pères et des mères en pèlerinage. Ils descendront à la gare, timides, ahuris. Ils demanderont « où c’est les morts de la guerre... » Ils chercheront le nom de leur fils entre les allées qui ne finissent pas. Enfin, se donnant la main, ils pleureront, et ces larmes, tombant sur ce sol, iront à tous... Les morts de Wissembourg ont veillé sur l’Alsace, l’ont contrainte à la fidélité. Et voici maintenant que les morts sont sur toutes les montagnes, dans tous les villages de tous les vallons, des confins de l’Alsace aux confins de la Lorraine. Cette chaîne des morts s’est nouée autour des deux provinces parce qu’elles en étaient dignes : prisonnières de la violence, elles n’ont pas vendu leur âme. Soldats de France qui dormez dans cette terre, vous ne pouviez mieux choisir ! Sur ces croix plane la souffrance du monde, la plainte des pays crucifiés, l’appel de ceux qui gravissent leur calvaire. Cet appel, les soldats l’ont entendu. S’étant levés, ils ont été trouvés dignes de mourir pour la justice. Leurs tombes ne sont pas tristes. Penchés sur l’une d’elles, deux hommes, deux femmes en deuil. Et soudain une voix apaisée :

— Comme ils sont heureux !...

Benjamin Vallotton.