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par quinze pièces magnifiques, toutes différentes de style et de conception, reliées entre elles par plus de deux cents eaux-fortes de moindre envergure. La Mort de la Vierge, eau-forte libre, presque linéaire, sans clair-obscur, est conçue comme un oratorio, avec la double irruption de l’Ange, qui vient préparer son apothéose, et celle du Pontife dont le cortège somptueux forme contraste avec le drame de l’agonie d’une pauvre femme entourée d’un groupe d’amis. Les Trois Arbres de 1643 sont, au contraire, une œuvre précieuse, toute en oppositions puissantes. — C’est un beau dimanche d’été ; sur la plaine inondée de soleil, toute grouillante d’une foule microscopique de personnages et d’animaux, de barques et de moulins devant un lointain de ville, s’élève un beau nuage qui résiste au vent du large, tandis qu’une averse strie obliquement sa masse lumineuse et tombe en dehors du cadre. Un couple de pêcheurs et deux amoureux tapis sous un buisson, goûtent la paix dominicale, au pied d’un bouquet de trois chênes tourmentés par le vent. Le Jan Six de 1647 est une œuvre de technique pure, un tour de force inimitable de beau métier. Recommencée deux fois sur des thèmes très différens, elle n’existe qu’en un seul état qui en fait, aujourd’hui, la pièce la plus précieuse dont s’enorgueillisse un cabinet d’amateur. Récemment, une seule de ces épreuves atteignit en vente publique la somme de 77 000 francs, sans les frais.

Les Mendians à la porte d’une maison préludèrent, en 1648, au cortège des gens de misère, qui vont au miracle, dans la Pièce aux Cent Florins. C’est ici l’œuvre capitale de Rembrandt, qui lui consacra plus d’une année, vers 1650. Malgré son étroit format, cette pièce est artistiquement supérieure à la Ronde de nuit, aux Pèlerins du Louvre, aux Syndics même, parce qu’elle résume en une fois toute la variété d’expressions, toutes les qualités du clair-obscur de ces divers tableaux, et qu’elle est la composition la plus importante, la plus personnelle de toute sa carrière et comme la synthèse, même, de toutes les faces de son génie. L’œuvre commente à la fois plusieurs pages des Écritures, suivant l’usage constant du maître, qui aimait à multiplier les épisodes contradictoires, dont il tirait ses plus puissans effets. Autour de Jésus prêchant en dehors des portes, auprès de la Fontaine de Béthesda, il évoque la procession des miséreux, des infirmes et des malades surgissant de l’ombre,