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Belge de naissance, Français d’élection, l’auteur des Essais écrit enfin, au début de son second volume : « Il me reste un souhait à faire, c’est que ce livre, fruit de six ans de travail, soit profitable au pays que j’habite… Je présente cet hommage aux Français, qui m’ont adopté. Puisse ce tribut d’une âme libre leur prouver ma reconnaissance ! » Bien plus encore que ses Essais littéraires, les chefs-d’œuvre musicaux de Grétry nous font honneur. A notre tour, ne perdons pas une occasion de l’honorer et de le remercier lui-même. Parmi les musiciens étrangers, il en est assurément, et beaucoup, de plus grands que lui. Je n’en connais pas un qui soit plus nôtre. Entre ceux de l’Allemagne, — fût-ce les anciens, — et nous, pour innocens qu’ils soient des crimes de leur race, il semble qu’un voile, un rideau flotte aujourd’hui. Notre main, parfois, hésite à l’écarter. Vers un Grétry tout nous attire et nous appelle. « Quoi que l’heure présente ait de trouble et d’ennui, » ou plutôt à cause de cet ennui, de ce trouble même, et pour nous en défendre, nous réfugier auprès d’un musicien tel que celui de Richard, c’est trouver un asile en nous, chez nous, dans le passé le plus pur de nos traditions et de notre génie.


Les Essais sur la musique, de Grétry, sont aussi les mémoires, d’ailleurs incomplets, de sa vie. Celle-ci fut longue, et partagée entre des opinions, des attitudes politiques diverses. Mais « l’union sacrée, » et la censure sa gardienne, nous interdiraient peut-être de les comparer, et plus encore de les préférer les unes aux autres. Quant aux souvenirs personnels du maître, surtout ceux de son enfance et de sa jeunesse, ils abondent en agréables récits : tableaux de famille, d’école, ou de maîtrise, de théâtre et de voyage. Né de parens musiciens, Grétry commence par déclarer : « Si je dois mon existence morale à la musique, je lui dois aussi mon existence physique. » Pourtant sa première leçon pensa lui coûter la vie. Agé de quatre ans, et déjà sensible au rythme ou au mouvement musical, « j’étais seul, » nous dit-il. « Le bouillonnement qui se faisait dans un pot de fer fixa mon attention. Je me mis à danser au bruit de ce tambour. Je voulus voir ensuite comment ce roulis périodique s’opérait dans le vase ; je le renversai dans un feu de charbon de terre très ardent, et l’explosion fut si forte, que je restai suffoqué et brûlé