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avait recueilli le dernier soupir et dont il ne pouvait parler qu’avec une angoisse au cœur et un tremblement dans la voix, ces discours qui sont des notices individuelles, des chapitres d’histoire, et qui resteront, comme des titres de noblesse, dans les archives des familles en deuil, M. Frédéric Masson a dessiné, d’une main délicate et ferme, quelques figures qu’il n’a point choisies dans l’innombrable diversité de l’armée française, et qui nous frappent autant par les particularités de leur caractère individuel que par la beauté de leur type collectif. Qu’il nous parle d’un laboureur breton, soldat d’infanterie, d’un montagnard d’Auvergne, devenu chasseur alpin, d’un sabotier de la Sarthe qui fut l’un des plus intrépides combattans de l’Argonne héroïque, ou encore de ce pauvre petit Basque, dont les lèvres expirantes, pendant le délire de l’agonie, murmuraient les mystérieuses paroles de la langue de Ramuntcho, toujours on sent qu’il a bien connu, qu’il a bien aimé celui dont il évêque l’image en quelques mots, venus du cœur[1].

Symbole visible et intelligible de la France qui combat, de la France qui travaille, de la France qui souffre, de la France pour qui l’on meurt afin qu’elle vive, le cercueil de l’humble et magnifique soldat de France, blessé mortellement au champ d’honneur, conduit au champ de repos par le représentant d’une Compagnie fondée pour maintenir et sauvegarder ce qu’il y a de plus précieux dans l’âme française, recueillait, chemin faisant, les hommages innombrables d’une foule émue et respectueuse. Bien souvent les passans se joignaient au cortège. De sorte que l’administrateur, l’aumônier, la délégation du corps médical et des infirmières de l’hôpital Thiers, accompagnant au cimetière celui que la science et la bonté n’avaient pu arracher à la mort, étaient entourés, en arrivant au terme de leur pieux pèlerinage, par une multitude d’amis inconnus, qui partageaient leur émotion et qui s’associaient de tout cœur au dernier adieu, adressé à une élite de Français par l’Institut de France.

Trente-trois fois ce douloureux devoir fut rempli. Les autres grands blessés de l’hôpital de l’Institut, — au nombre de 647 pour les deux premières périodes, — ont été sauvés. Leur retour à la vie a été fêté en toute effusion de cœur, par une sorte de

  1. Discours à l’hôpital (24 septembre 1914-31 décembre 1915), par Frédéric Masson, de l’Académie française, Paris, chez Bloud et Gay.